Liebestod – L’amour et la mort au temps de l’amortalité
Ne plus mourir (être amortel, immortel) implique-t-il nécessairement l'ennui, la monotonie, et la condamnation à perpétuité du "toujours les mêmes" ? Certainement pas ! Le transhumanisme peut nous inviter à rester curieux, aventureux et le cœur aimant ! "Only lovers left alive".
Publié le 4 février 2021, par dans « Immortalité ? • Question sociale • Risques • transhumanisme »
Vivre indéfiniment ? Ne plus mourir involontairement ? Simplement arrêter de vieillir ? Mon Dieu, non ! On doit s’ennuyer ferme, et s’alanguir affreusement. Toujours être le même, toujours les mêmes. Ne plus mourir c’est une forme de « consanguinité », et sans apport de sang neuf, donc sans la mort qui fait couler et circuler ce sang, on risque l’anémie et la stérilité. Des immortels c’est comme ces vieilles lignées royales dégénérées… Il faut que des nouveaux naissent et que les anciens meurent.
Querelles de Noël
Si vous avez parlé de transhumanisme lors des fêtes de fin d’année, il est probable que vous ayez été confrontés à ce genre d’arguments. Ils sont typiques du mortalisme.
Le mortalisme c’est notamment l’idée que la mort, la mort involontaire, celle qui finit par avoir tout le monde et qui est un destin, est la seule source pertinente de variation, de différenciation, de transformation, d’évolution, de création. Au final, elle serait aussi le seul obstacle à l’ennui et à la dégénérescence, voire au suicide. La mort nous sauverait du suicide, hourra ! Tandis que le transhumanisme, dans son souci de contrôle de la mort, aurait pour prix exorbitant une mutilation des pouvoirs créateurs de la vie.
Eh bien, comme cadeau de Noël, l’AFT Technoprog vous propose quelques solutions possibles à ce problème.
Savoir conserver son âme d’enfant
Un contrôle accru des processus vitaux permet de se modifier à volonté. On peut songer à des hybridations avec les machines, à des modifications corporelles et génétiques, à des mises en relation multimodales entre les individus, à l’introduction d’aléatoire plus ou moins ciblé et raffiné dans nos processus biologiques (sur le modèle des drogues psychédéliques). Plus simplement on peut songer à la bonne santé qui nous donne l’énergie et l’envie d’accroître notre curiosité. Bref, il y a mille manières de créer de la variété en soi-même, de faire naître des vides et des pleins, de jouer avec le désir et le manque, d’explorer notre monde.
Forts d’une longue vie, dans la sécurité d’une maîtrise de notre santé, nous augmentons d’autant notre souplesse et notre ouverture, donc notre capacité à accueillir et à produire de la nouveauté. Trop souvent on associe la vie longue au processus de vieillissement, sur le principe de l’augmentation de l’entropie : vivre longtemps ce serait vivre longtemps vieux et malade. On se dit alors qu’une vie longue est une vie qui se fige en se cristallisant au mieux, qui se fige en s’appauvrissant au pire.
Or, c’est bien une fontaine de jouvence que vise le transhumanisme : vivre longtemps jeune. Songeons alors à l’enfance, à la croissance : nous viendrait-il à l’esprit de dire à un enfant ou à un jeune adulte qu’il est en train de dégénérer, que toute sa vie est engagée dans un processus de dégradation dont le seul objectif est de se reproduire au plus vite et de mourir peu après ? Certainement pas, imaginons plutôt ses myriades de projets et toutes les potentialités qu’il peut réaliser.
Alchimie amoureuse
L’amour, pour des êtres amortels et maîtres de leur santé pourrait aussi inventer une nouvelle magie. La relation amoureuse pourrait produire du nouveau « biologique », non plus seulement par la procréation, mais par le don de caractères corporels ou psychiques (1).
Actuellement, déjà, la relation amoureuse entraîne une cascade d’effets physiologiques, d’échanges biochimiques complexes, qui modifient non seulement nos états psychiques mais plus largement toute notre biologie (2), jusqu’à l’expression de nos gènes. Demain, en ayant les moyens de jouer plus profondément encore sur les mécanismes biologiques, il sera possible de radicaliser cette expérience.
Au lieu de s’offrir un vêtement ou un disque, on s’offrirait l’incorporation des gènes de l’autre ou d’un trait de son caractère. On peut imaginer (pour ceux qui le souhaitent uniquement bien sûr), une forme de brassage aléatoire dans cette introduction, sur le modèle de la méiose, comme une part d’enfantement de l’autre en soi-même. Ceci générerait une expérience nouvelle, corporelle et psychique. Un don de l’autre à soi et une transformation de soi à partir de l’autre, engendrant une forme nouvelle et en partie imprévisible. Le cycle biologique de la vie et de la mort, intégré à l’intérieur de nos vies, sans son drame fondamental, uniquement fruit de l’amour. Une nouvelle vie par ces variations. Un nouvel horizon, tout en conservant la mémoire de ses expériences passées. Mais c’est aussi bel et bien une transformation, donc en quelque sorte, une perte de soi, de l’ancien soi. Un cheminement à la fois personnel et transpersonnel.
N’est-ce pas déjà un peu cela que l’on valorise lorsque l’on s’émerveille d’une rencontre qui nous a changé, d’un livre ou d’un film qui nous a bouleversé, d’une expérience qui nous a transformé ?Ne serait-ce pas, en outre, une belle manière de voir le Liebestod, le « mourir d’amour », comme un philtre contre la lassitude redoutée d’une vie indéfiniment longue ?