L’immortalité avec une simple assurance-vie ? (part. 1)
Par Syd Lonreiro, en deux épisodes! Voici la première partie
Publié le 23 août 2025, par dans « Immortalité ? »

Introduction
Il est aujourd’hui presque certain que si le progrès technologique continue, la société humaine aura accès à une panoplie d’outils transhumanistes permettant d’améliorer grandement la qualité de vie des individus et de vaincre la mort de vieillesse. Malheureusement, beaucoup de gens meurent chaque jour et beaucoup d’entre nous ne vivront sûrement pas assez longtemps pour pouvoir bénéficier d’un remède au vieillissement et à toutes les maladies mortelles qui nous déciment actuellement. Le grand public n’est pas au courant qu’il existe une solution théorique, disponible depuis les années 1960 ; très peu de transhumanistes prennent cette solution au sérieux et savent qu’elle est abordable avec de simples cotisations mensuelles généralement payées via le biais d’une assurance-vie. Il s’agit de la cryonie, une technologie que vous avez l’habitude de voir dans la science-fiction lorsque des protagonistes sont congelés — pensez par exemple à Han Solo dans Star Wars, placé en stase dans un bloc de carbonite. Dans la réalité, la cryonie existe réellement ! Ce concept a été introduit dans les années 1960, principalement par le physicien Robert Ettinger en 1962 dans son livre The Prospect of Immortality. En 1967, le docteur James Bedford, légalement décédé d’un cancer métastatique, est devenu le premier homme congelé avec un objectif de réanimation future. En 2025, environ 700 « patients » sont actuellement congelés dans de grandes cuves en attendant leur réanimation.
Un rapide état des lieux de la cryonie
La suspension cryonique consiste à placer un patient en état de mort clinique et légale dans un état de stase biologique, le plus tôt possible après la mort cardiaque et cérébrale. Une fois la personne en suspension, elle est dans un état où la structure fine de son cerveau est préservée suffisamment bien pour qu’il soit envisageable de la réanimer voire de la rajeunir en bonne santé avec sa mémoire et sa personnalité intactes. La cryonie doit être comprise comme une tentative encore non prouvée de sauver des vies en utilisant des températures cryogéniques pour stopper toute dégradation. La cryogénisation est une expérience au sens propre ; C’est à vous de choisir si vous préférez être dans le groupe témoin (les personnes non-cryogénisées) ou le groupe expérimental, et comme le dit Ralph Merkle, le groupe témoin ne se porte pas vraiment bien jusqu’à présent, donc pourquoi ne pas tenter votre chance ?
Le refroidissement cryogénique d’une personne et son stockage pour une durée indéfinie sont, dans les cas idéaux, les étapes finales de la procédure ; plusieurs procédures spécifiques précèdent ces étapes afin de limiter les dommages provoqués par l’ischémie. L’ischémie étant un processus de dégradation survenant immédiatement après l’arrêt de la circulation sanguine, une procédure appelée cryoprotection permet de limiter les dommages causés par la formation de glace lors du refroidissement. Depuis une vingtaine d’années, une nouvelle technique a été mise au point, plus efficace que la perfusion au glycérol : celle de la vitrification, où le patient est stocké sans presque aucune formation de glace dans les cellules.
À l’heure actuelle, la cryopréservation ne peut être appliquée qu’aux personnes déclarées légalement mortes, c’est-à-dire qu’un médecin indépendant considère qu’aucun traitement supplémentaire n’est nécessaire pour la personne.
Les choses ont commencé en 1962 lorsque le vétéran de la seconde guerre mondiale et physicien Robert Ettinger a écrit The Prospect of Immortality. Dans son livre, Ettinger expliquait que le froid extrême permet de stopper la décomposition sur plusieurs millénaires. Pour lui, le cerveau n’étant pas détruit immédiatement après la mort cardiaque et cérébrale, en le congelant suffisamment bien et rapidement après la mort. Il serait alors possible pour une personne d’attendre que la science progresse suffisamment pour que la mort, sur des critères actuels, puisse devenir réversible dans plusieurs siècles voire avant. Ainsi, la personne pourra être réparée, réanimée, rajeunie et bénéficier d’une époque où la maladie qui l’a tuée aura été éradiquée. Le pari d’Ettinger était que si des organisations congelaient les gens maintenant et arrivaient à survivre suffisamment longtemps, alors les gens pris en charge par ces organisations pourraient être réanimés et réintégrés dans un monde où la société serait suffisamment bienveillante pour avoir permis la persistance de ce mouvement. Il s’agit là d’un véritable voyage médical dans le temps.
Très rapidement après la sortie du livre d’Ettinger, les premières organisations de cryopréservation humaine sont nées. Elles ont cryopréservé quelques patients, mais ça a été des échecs dans presque tous les cas, sauf pour le premier homme congelé, James Bedford, qui est encore conservé. Les autres ont été décongelées car le système de financement n’était pas fiable à l’époque : les familles des patients devaient payer régulièrement pour maintenir leurs proches en stase, mais généralement elles abandonnaient. Robert Nelson, un des pionniers du mouvement actuellement congelé, a transféré les patients de la société californienne de cryonie dans une petite crypte de suspension cryonique dans un cimetière ; malheureusement les choses ne se sont pas passées comme prévu et Nelson n’a pas réussi à maintenir les patients. Une défaillance les a tous fait décongeler et un procès a eu lieu avec les familles. Tous ces événements ont entaché l’histoire de la cryonie.
Grâce à plusieurs personnes, dont le chirurgien cardiaque et vétéran de la guerre du Vietnam Jerry Leaf, et un des pionniers du mouvement considéré aujourd’hui comme l’un des cryonistes les plus importants, le jeune Mike Darwin, la cryogénisation est devenue médicale et sérieuse. Elle peut être considérée aujourd’hui comme une sorte de procédure chirurgicale, avec notamment la fondation des organisations Trans Time et Alcor.
Aujourd’hui, il existe de nombreuses organisations de cryopréservation sérieuses parmi lesquelles le Cryonics Institute, fondé par le père de la cryonie Robert Ettinger, la fondation Alcor Life Extension, Tomorrow Biostasis, et Southern Cryonics en Australie, et l entreprise extrêmement mal gérée KrioRus, une organisation basée en Russie. Beaucoup de patients sont des corps entiers ; l’institut de cryogénisation ne propose que le corps entier, mais certains patients d’Alcor sont des neuro-patients, c’est-à-dire des têtes coupées en entier pour offrir une protection naturelle au cerveau (céphalons), qui attendent que la médecine puisse leur faire repousser un nouveau corps (ou que soient développées d’éventuelles solutions de transfert de la pensée). Tomorrow Biostasis propose une option similaire mais seul le cerveau sans la tête est préservé dans cette option. C’est aux membres de choisir s’ils préfèrent être préservés sous la forme de corps entiers.
Les procédures de cryopréservation
Dans un cas idéal de suspension cryogénique, la procédure de mise en stase commence dans les dix minutes suivant l’arrêt cardiaque. Les cas les plus idéaux débutent dans les cinq premières minutes. Le patient est légalement déclaré mort (ce qui est plus simple avec une ordonnance de non-réanimation), placé dans un PIB (bain de glace portable), et un dispositif de réanimation cardio-pulmonaire est installé sur le patient à l’intérieur du PIB — par exemple, un robot LUCAS ou un Thumper de Michigan Instruments — pour effectuer un soutien cardio-pulmonaire (CPS). De l’eau froide et de la glace sont ajoutées pour induire une hypothermie profonde, des médicaments tels que des anticoagulants sont administrés, et le patient est transporté aussi rapidement que possible vers l’établissement de cryonie pour la procédure de cryoprotection. Si le centre est trop éloigné, la procédure est effectuée sur place. Le patient est ensuite placé dans un conteneur de refroidissement contrôlé par ordinateur afin d’abaisser progressivement la température jusqu’à celle de l’azote liquide (LN2), à −196 °C, ou à une température intermédiaire de stockage pour éviter les fractures, autour de −140 °C. Le patient est alors officiellement placé en suspension cryonique.
Les patients sont attachés dans des sacs de couchage, placés la tête à l’envers dans de grandes cuves. Chez Alcor et Tomorrow Biostasis, ces cuves sont des dewars, le plus connu étant le dewar Bigfoot d’Alcor, et les patients sont placés dans des cadrans individuels tandis qu’au centre il y a une colonne centrale, une sorte d’étagère au milieu du dewar où les céphalons ou les cerveaux nus et isolés pour Tomorrow Biostasis sont placés dans des conteneurs spécifiques — les neurocanisters — qui sont empilés à raison de cinq par dewar. Au Cryonics Institute, les cuves sont des cryostats. Andy Zawacki du Cryonics Institute a créé le plus grand cryostat du monde : il s’agit d’un grand bloc où jusqu’à 14 patients peuvent être placés dans ce qui est appelé les soins à long terme. La dernière génération de cryostats de l’institut est constituée de grands cylindres qui contiennent jusqu’à six personnes la tête à l’envers ; les cryostats sont de grandes cuves blanches en perlite. Contrairement à ce qui est montré dans les œuvres de fiction, par exemple dans de nombreux films de voyage interstellaire, il n’y a pas de vitre pour voir les patients qui sont de toute façon emballés dans des sacs de couchage.
Certains cas ne se déroulent pas comme prévu. Par exemple, l’avocat Michael Louis Friedman, patient d’Alcor, a été abattu par son client de quatre balles dans la tête ; il a été rendu à Alcor 27 heures après avoir été abattu et son cerveau a été placé dans un bain de diffusion au glycérol à 20 %. D’autres patients ont eu des préservations excellentes, comme par exemple Arleine France Fried : chez cette patiente, les procédures ont pu débuter dans les secondes qui suivaient l’arrêt du cœur et elle a pu subir un lavage sanguin total dans une morgue !