NOTE DE LECTURE : H+, de Nicolas Roberti
Note de lecture critique du livre de Nicolas Roberti "H+". On explique pourquoi ce n'est pas le transhumanisme que nous défendons.
Publié le 16 janvier 2021, par dans « Nos actions »
H+ et sa quatrième de couverture : voilà un exemple de pâté d’alouette. En effet, contrairement à ce qui est annoncé, le livre n’a pas vraiment pour thématiques la pensée transhumaniste et les nouvelles technologies. On les croise bien çà et là, mais de manière très incidente et presque anecdotique. Il s’agit plutôt d’un roman d’aventure, court mais de bonne facture – assez prenant et de lecture aisée – qui traite avant tout d’occultisme et de politique. Cela n’est pas étonnant quand on sait que l’auteur a rédigé une thèse sur Abellio, un prétendu gnostique moderne. De quoi Abellio serait-il donc le nom?
Michel Sitbon, que j’ai connu comme éditeur, est aussi l’auteur de La Mémoire n, où il expose la thèse (fort polémique) selon laquelle Abellio serait le pivot d’une idéologie ésotérique, prémoderne, élitiste et, finalement, antidémocratique. Ce courant, comportant aussi Saint-Yves d’Alveydre et René Guénon, aurait été à l’origine de la synarchie : un « mouvement » politique, se situant au-dessus des partis et des courants, usant de manipulations et de menées secrètes pour asseoir un pouvoir aristocratique et « spirituel » sur le monde. La synarchie recourant en outre aussi bien au complot et à la corruption, aux responsabilités politiques électives légales comme au terrorisme, Sitbon n’hésite pas à en faire une des sources du fascisme.
On pourra penser ce qu’on veut de cette thèse, il n’empêche que la coïncidence est remarquable : H+ parle de tout cela. L’histoire est articulée autour des pythagoriciens, une société secrète remontant à l’Antiquité grecque. Les membres de cette sulfureuse congrégation, menés par Teilhard de Chardin, se pensent surdoués, supérieurs, meilleurs, dotés de « pouvoirs » parapsychiques plus ou moins surnaturels (maîtrise des arts énergétiques : la Lyre intérieure). Ils sont bien sûr à la recherche de l’immortalité. Ils travaillent leur longévité par des pratiques magiques, par la réminiscence de leurs vies antérieures, et, à la marge, par les nouvelles technologies. Le Père Teilhard de Chardin, ici défroqué pour la bonne cause, est en quête de l’élue annoncée par l’Oracle de Delphes : une jeune fille aux talents innés exceptionnels, malmenée par la vie, mais devant réaliser la prophétie et apporter au monde la vie éternelle.
Deux clans sont en lutte pour le leadership de la secte : ceux qui prétendent œuvrer au bien de l’Humanité entière, en usant de méthodes secrètes mais relativement douces ; et ceux qui, sadiques et meurtriers, se laissent aller au côté obscur de la supériorité, via des formes de vampirisme énergétique et social.
Les transhumanistes, qui apparaissent à la fin du roman, sont soit des pythagoriciens qui utilisent leurs fortunes et les technologies pour diriger le monde en sous-main (Elon Musk, Peter Thiel, Aubrey de Grey…) ; soit des second-couteaux instrumentalisées par les maîtres pythagoriciens.
L’ouvrage est vif et plutôt exotique, il met en scène cette soif d’éternité et de santé, de joie et de vérité qui anime les humains depuis l’antiquité. Il traite également, de manière assez classique, de la lutte entre le respect de la vie individuelle et la volonté de domination, entre l’altruisme et l’égoïsme, entre les fins visées et les moyens utilisés, et la gradation des compromis.
Mais ce qui intrigue surtout c’est ce mélange d’ésotérisme haut en couleur et de politique (ou d’absence de politique). Car le monde de H+ est dirigé hors de la participation des populations et des citoyens, dont la figure n’apparaît jamais véritablement dans l’ouvrage. Ils ne sont ici que des consommateurs, voire une « idée » indifférenciée et passive, faisant malgré eux la fortune et la puissance des tycoons et des pythagoriciens.
Certainement que cela parle de notre monde et de l’imaginaire politique en train de se dessiner au temps des milliardaires du numérique : une sorte de néoféodalisme occulte, essentialisé dans la surdouance métaphysique d’une poignée d’hommes et de femmes.
Est-ce là le fantasme de certains transhumanistes médiatiques (comme Laurent Alexandre) ? Ou bien est-ce la crainte de Nicolas Roberti ?
Reste qu’en se présentant comme une réflexion sur le transhumanisme, le roman fait certainement preuve de strabisme, car il vise en fait la politique en général. Le transhumanisme en tant que tel n’est ici qu’un décor, qu’un élément circonstanciel. Et en tout cas, on est aux antipodes du transhumanisme technoprogressiste.
La démarche est par ailleurs critiquable, car dès lors, le transhumanisme peut devenir un écran de fumée pour occulter, voire dédouaner des visions politiques sous-jacentes qui existent, transhumanisme ou pas. Dans le roman, l’imaginaire élitiste n’est jamais véritablement mis en cause : il n’y a pas un technoprogressiste du côté des transhumanistes, ni aucun véritable démocrate du côté des pythagoriciens ou chez l’héroïne. Le conflit moral entre les parties présentes prend place sur ce socle de l’évidence de la hiérarchie entre les hommes. Si ce n’est pas un problème en soi, c’en est un en revanche que de sous-entendre que le transhumanisme correspond parfaitement à cet imaginaire. C’est donc peut-être ici que la Lyre céleste sonne le plus faux. Il existe en effet des transhumanismes écologistes, démocratiques et œuvrant à ce que chacun et la collectivité bénéficie des progrès techniques et des immenses ressources générées ; pas seulement par générosité et humanisme, mais aussi par une vision du monde où les bénéfices partagés et l’accès de tous à la connaissance produit des effets synergiques augmentant les bienfaits pour l’ensemble.
Puisqu’à la fois le livre s’intitule H+, qu’il ne traite pas particulièrement de transhumanisme, et qu’il l’associe implicitement à une politique élitiste et anti démocratique, on se demande s’il s’agit de la manifestation innocente des préjugés de l’auteur ou si l’on est face à une forme de démagogie, ou encore face à une manière de promotion de l’ésotérisme pour combattre le transhumanisme. Mais, vu l’œuvre et les motivations des personnages, c’est peut-être encore le monde de l’ésotérisme qui se sort le plus mal de cette affaire.
Auteur :
Frédéric Balmont, Trésorier
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