Notes de lecture: Le Transhumanisme (coll. Repères)
Stanislas Deprez signe ici certainement la meilleure introduction au transhumanisme.
Publié le 22 novembre 2024, par dans « transhumanisme »
Le transhumanisme regroupe un grand nombre d’auteurs, qui parfois ne sont intéressés que par certains aspects du transhumanisme : extension de la durée de vie, amélioration des capacités physiques, intelligence artificielle, critique de l’humanisme classique… A un niveau plus large, l’imaginaire transhumaniste influence même des chercheurs et des entrepreneurs qui ne font pas référence au mouvement, voire qui le rejettent. (p.107)
Que sais-je à propos du transhumanisme ?
Récemment est sorti un ouvrage similaire au texte commenté ici: le Que sais-je ? écrit par Nicolas Le Devedec. En une centaine de pages, l’idée est de présenter la notion, son histoire et les grandes questions qu’elle soulève. Les deux ouvrages ont des points communs, positifs. Leur structure est claire et la progression aisée, le contenu à la fois fouillé et synthétique. La qualité de plume est remarquable dans les deux cas. Le point revient néanmoins à Stanislas Deprez, qui fait ressortir des éléments moins connus et avec un peu plus de chair.
Thèses et structure
Définir le transhumanisme est un enjeu à part entière, autant qu’une tâche difficile. C’est vrai à l’intérieur du mouvement, c’est vrai également pour les universitaires. Le choix de définition va fédérer ou cliver, faciliter ou réduire les polémiques, permettre ou non une filiation humaniste, inscrire dans tel ou tel héritage de pensée. Stanislas Deprez note, en outre, que le terme de transhumanisme s’associe à des phénomènes aussi bigarrés que des entreprises (GAFAM), des environnements socio-économiques (Silicon Valley) ou militaires (DARPA), des dispositifs techniques (implants cérébraux, CRISPR-Cas9), des projets spatiaux (SpaceX), des visions politiques (libertarianisme, technoprogressisme), des revendications individuelles (liberté morphologique).
Dès lors, il va proposer de retenir trois niveaux : le transhumanisme comme mouvement, comme doctrine et comme imaginaire.
Mouvement
Le mouvement constituera la première partie de l’ouvrage. Il s’agira d’en faire l’histoire et d’en préciser le contexte. La diversité des courants – dont le technoprogressisme – est présentée sans arrière-pensée ni volonté d’occultation, au contraire de ce qu’il peut ressortir parfois des entretiens radio ou dans la presse : les préjugés de l’interlocuteur orientent souvent le débat en appuyant lourdement sur les aspects libertariens. Dans le livre, Deprez évite l’écueil de la partialité et, s’il fait toujours ressortir les difficultés, critiques et interrogations légitimes, il fait également droit à la complexité du phénomène.
Doctrine
La présentation de ce qui pourrait être une doctrine constitue la partie centrale de l’ouvrage. Autour des trois thématiques que sont l’immortalité, l’augmentation et l’IA, Stanislas Deprez analyse les problématiques éthiques (eugénisme, devoir d’amélioration, accès aux ressources…), les présupposés philosophiques (rationalisme, technicisme, individualisme, évolutionnisme…), et même les dimensions techniques qui travaillent le transhumanisme (objets technologiques attendus, usage des objets existants en vue de l’amélioration, décalage entre attentes et réalité, etc.).
Imaginaire
Enfin, par un examen approfondi des conséquences de l’IA et du technicisme, il montre que les transhumanistes réinvestissent de facto la métaphysique. Avec ce qu’on qualifie d’ontologie de l’information – issue d’une radicalisation du paradigme cybernétique – il est question de la nature de l’Être et du Réel. Ce point fait la bascule vers l’imaginaire transhumaniste, cette manière nouvelle d’interroger les sociétés contemporaines : repenser le genre, l’espèce, l’écologie, la politique et même le religieux.
Une vision et du souffle
Le Devedec donnait de lui-même, mais en réduisant le transhumanisme à la figure contemporaine de la prédation économique. Il faisait de son Que sais-je ? un brûlot anticapitaliste de plus (intéressant parce qu’inspiré par Castoriadis), tout en désignant les technoprogressistes comme les idiots utiles ou dangereux de la domination du Capital sur l’Humain et la Nature.
Stanislas Deprez est plus subtil quant à son objet d’étude. Il l’examine avec plus de probité, nous semble-t-il. Par exemple, sur la question écologique, il se demande (sans forcément conclure) si le transhumanisme, au-delà du solutionnisme, est capable d’auto-limitation et de variations autour de ses mises en œuvre, en prenant en compte de manière pragmatique les contraintes sociales ou environnementales.
Enfin, l’originalité de Deprez consiste dans le dialogue qu’il voit possiblement s’ouvrir entre certaines formes de l’imaginaire transhumaniste et la théologie, notamment chrétienne. Les questions croisées sur le sens de la vie et le sens de l’histoire deviennent mutuellement fertiles.
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