Transhumanisme & Futur – Que conserver de l’humain ?
Quelles valeurs pour, demain, fonder l’humain ? Une vision critique et raisonnée des possibles dérives du transhumanisme.
Publié le 22 février 2013, par dans « Risques • transhumanisme »
1) Quelles valeurs pour, demain, fonder l’humain ?
Comme point de départ, je prendrai une conférence organisée vers la fin de l’année 2012 à la mairie du IIème arrondissement de Paris et intitulé « Demain, quels humains ».
Le magazine Science et Avenir y avait invité Roger-Pol Droit et Monique Atlan (auteurs du livre alors récents Humain : enquête sur ces révolutions qui vont changer nos vies).
L’article de présentation que proposait le magazine posait quelques bonnes questions – « quel monde humain nous voulons, et quelles valeurs peuvent le fonder ? Qu’est-ce qu’on encourage ou interdit, et pour quels motifs ? etc… » mais il ne se situait évidemment pas dans une perspective transhumaniste. Je vous propose donc de revisiter un instant ce questionnement et de suivre quelques pistes divergentes de celles balisées par les auteurs pour essayer de discerner les critères qui pourraient déterminer nos choix.
Que conserver de l’humain ?
Tout d’abord, en réponse à la question centrale du transhumanisme : « que conserver de l’humain ? » – je propose de considérer que ce qui compte vraiment, au fond du fond, et compte tenu du degré de développement qu’elle a atteint chez notre espèce, c’est la conscience que nous avons de nous-même.
Sans cette conscience, en effet, nous serions indifférents à nous même. Comme pour la plupart des autres animaux, ce sont principalement nos instincts de survie et de reproduction, notre programme génétique, qui nous pousseraient à poursuivre l’aventure de notre espèce, mais, ignorant la certitude de notre disparition individuelle et collective à venir, nous n’en concevrions ni aucune angoisse, ni aucun espoir.
Je pose donc que, chez l’humain, c’est la conscience qui, par dessus tout, donne sens à l’existence.
Définir la « conscience »
Par conscience, il faut ici entendre « conscience supérieure » au sens où la définissent les neuroscientifiques comme Jean-Pierre Changeux, Antonio Damasio ou Gérald Edelman (Pour une bonne synthèse de travaux et d’essais relativement récents de définition de la conscience, j’invite à consulter l’article de Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin : « La conscience vue par les neurosciences », Automates Intelligents, oct. 2008) [Voir aussi, plus récemment, Stanislas Dehaene, Le code de la conscience, 2014].
La conscience dans le règne animal
Les processus qui conduisent à l’émergence de la conscience existent à des degrés divers dans le règne animal et diverses espèces, notamment chez les mammifères supérieurs, semblent dotés d’une conscience élémentaire d’eux mêmes qui leur permet de se projeter dans un avenir à court terme voire de passer un test comme le « test du miroir », mais, sur Terre, seul l’humain nous paraît doté d’un degré de conscience permettant de se projeter non seulement sur sa vie entière mais encore dans son passé historique et dans son futur lointain.
Le libre arbitre dans le règne animal
Notez que le vivant, qui, d’un point de vue matérialiste, semble être apparu par hasard (en tout cas nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure d’en cerner les déterminismes), produit des choix qui sont soit eux-mêmes le fruit d’autres hasards, ou chaos, soit issus de combinaison de détermination biologiques et environnementales.
L’émancipation des êtres conscients
En échange, le « Conscient », lui, commence à raisonnablement envisager de montrer son indépendance par rapport au vivant biologique. Il prouvera véritablement cette indépendance le jour où il se sera rendu capable de développer un support de conscience autre que celui dont il est originaire (l’hypothèse de l’uploading, ou téléchargement de la pensée sur un support informatique, n’est que le plus en vogue et le plus avancé de ces développements spéculatifs mais on pourrait en imaginer d’autres).
Tout le reste de notre corps, qui, certes, semble bien participer à l’émergence et à la définition de notre conscience, est susceptible d’évolution, de transformation progressive à travers le temps ou les générations, jusqu’à aboutir éventuellement à un stade où il serait très différent du corps que nous connaissons aujourd’hui. Ce corps pourrait être augmenté de diverses façons de manière à améliorer ses facultés sensorimotrices, cognitives ou émotionnelles mais toutes ces modifications n’auraient guère de sens en elles-mêmes. Elles ne se justifieraient que dans la mesure où elles contribueraient à la meilleure persévérance et au meilleur développement/épanouissement de la conscience.
2) Comment assurer la pérennité de la conscience ?
Ainsi, ce qui est en jeu dans l’aventure anthropotechnique (nde : relative à la technique humaine), ce pourrait être ceci : l’autonomisation du processus qui aboutit à l’émergence de la conscience par rapport au processus biologique basé sur la chimie du carbone. Autrement dit, les êtres dotés de conscience supérieure sont en train de concevoir un intérêt à disposer un jour d’un corps/substrat dont le principe de fonctionnement ne serait plus, ou majoritairement plus, celui du vivant tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Critères éthiques
Que nous nous accordions ou non sur le primat du conscient sur le vivant, nous pouvons sans doute nous mettre d’accord sur l’idée d’un critère éthique absolu pour dire ce que nous souhaitons permettre et ce que nous souhaitons interdire dans notre évolution à venir. Ce critère est la pérennité (que d’autre appelle résilience, ou robustesse).
Ce qui met en danger la survie et la poursuite de l’existence des individus (de leur conscience) et de l’espèce humaine est à circonscrire, voire à prohiber (hormis le libre choix individuel, conscient et éclairé, de mettre fin à ses jours). Ce qui renforce et encourage notre capacité à survivre, en tant qu’individus libres comme en tant que collectivité harmonieuse peut et doit être permis et même développé.
La difficulté du choix des « bons » critères
La difficulté réside bien entendu dans notre capacité à déterminer à l’avance ou au moins à temps ce qui nous sera contraire et ce qui nous sera favorable. Et ceci, d’autant plus que certaines dispositions peuvent se révéler bénéfiques dans certaines conditions et désavantageuses dans d’autres (par exemple, la capacité des cellules souches embryonnaires à se reproduire à l’infini semble pouvoir déboucher sur des cancers, ou bien ce qui est considéré comme un handicap mental (ex : l’autisme) peut, dans certaines circonstances être vécu comme une marque de génie (ex : le syndrome d’Asperger). On pourrait multiplier les exemples.
Il en découle que, la plupart du temps, ce n’est qu’a posteriori que nous pouvons juger si tel ou tel de nos choix éthiques s’est avéré judicieux. L’histoire ne se répète jamais complètement mais je considère, avec la science, qu’il n’existe guère de meilleure sagesse que de se baser sur le souvenir de nos échecs et de nos réussites passées pour anticiper les conséquences de nos choix à venir (d’ailleurs la logique du vivant n’est pas différente qui procède par essais, erreurs, élimination des ratés et réutilisation des réussites).
3) Prendre le temps
Concernant maintenant le choix d’utiliser et de développer telle ou telle nouvelle technologie dans le sens d’une évolution de type transhumaniste, il devrait donc en aller de même. Nous ne devrions avoir aucuns tabous, aucuns interdits autres que ceux imposés par des échecs patents.
Libre choix, éclairé et responsable
Cela dit, il est évidemment impensable pour un transhumanisme technoprogressiste de considérer les personnes humaines comme des objets d’essais susceptibles de réussir ou d’échouer. C’est le libre choix, véritablement éclairé et responsable, des individus qui doit être à l’origine des orientations collectives.
Or, afin de parer au plus vite et au mieux aux dérives et aux ratés de nos choix technologiques, une condition qui me paraît très importante est de se donner le temps. Idéalement, nous devrions avoir le temps du choix, le temps de l’expérimentation, le temps de l’appréciation, celui du plaisir aussi, le temps du bilan puis, le temps de l’adoption ou celui du regret peut-être et de la renonciation.
Une question de temps…
Contrairement à certains – ceux qui rêvent de « La grande catastrophe » ou ceux qui attendent déjà la « Singularité » – je pense en effet que l’humanité a encore le temps devant elle et qu’elle doit le prendre. Scientifiquement parlant, il semble que la seule échéance à ce jour inéluctable pour l’aventure humaine soit la fin de vie du Soleil, ce qui nous donnerait tout de même 4 ou 5 milliards d’années avant que le système solaire ne soit plus vivable.
La précipitation, au contraire, pourrait nous valoir un anéantissement avant ce terme.
Le danger donc, ne me paraît pas venir de l’adoption des technologies NBIC au motif qu’elles ne pourraient que nous faire perdre notre humanité. En échange, il me semble découler de cette logique de la précipitation dont se sert le système sociétal et économique dominant aujourd’hui dans notre monde. Pour parler grec, je pourrais m’amuser à considérer que cette précipitation relève vraiment de l’hybris. Elle est une insulte au véritable dieu de la pensée grecque : la raison humaine. Or, dans la tradition de la tragédie grecque, l’hybris ne peut être que punie.
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