Qui sait qu’il existe une recherche potentiellement fructueuse sur le rajeunissement ?

Interview pointue, drôle et éclairante du couple Conboy, chercheurs à Berkeley, qui travaille sur la purification du sang pour rajeunir l’organisme âgé et prévenir de nombreuses maladies.

Publié le 18 mai 2020, par dans « transhumanisme »

Ceci est un troisième texte sur les pistes des thérapies anti-âge dans le monde. Nous avions parlé précédemment de protéothérapies et de reprogrammation cellulaire. Aujourd’hui, nous présentons la traduction d’un interview d’Irina et Michael Conboy, chercheurs à Berkeley, interrogés par le site Lifespan.io et publié en février 2020.


Temps de lecture : 10 min.


Irina est membre du conseil scientifique de Lifespan.io, et le travail des Conboy est bien connu des défenseurs du rajeunissement, car ils contribuent à développer une nouvelle génération d’aphérèse (retrait de certains composants du sang) comme moyen de filtrer les facteurs pro-âge dans le sang afin que celui-ci retrouve un état jeune, encourageant les tissus et les organes à se réparer correctement comme ils le font dans la jeunesse.

Les Conboy ont également mené de nombreuses recherches sur la parabiose (la jonction des systèmes circulatoires de deux organismes) et les facteurs sanguins dans le contexte de l’altération de la communication intercellulaire, une caractéristique du vieillissement qui, entre autres, peut empêcher les cellules souches de fonctionner – et dont ils parlent en détail dans cet entretien.

Vous avez déclaré que le vieillissement n’est pas seulement une progression dans le temps ; il semble être un processus hautement régulé avec beaucoup de plasticité, et en comprenant cette régulation, cela signifie que le vieillissement est quelque chose que nous pourrions ralentir ou inverser. Malgré ces preuves, pourquoi pensez-vous que l’opinion, et même le monde académique, ont été lents à accepter que le vieillissement n’est pas un processus à sens unique ?

Irina : Je pense que l’absence de remède va de pair avec l’incapacité à accepter qu’il s’agit d’une maladie. Par exemple, il y a eu une certaine résistance à accepter la tuberculose comme une véritable maladie. Lorsqu’il n’y avait pas d’antibiotiques ou de remède contre elle, les gens avaient tendance à la rejeter et à dire, “oh, ce ne sont que les nerfs, vous devriez aller dans un sanatorium et vous détendre”. C’est peut-être un sentiment humain normal ; si on ne peut pas la guérir, disons que ça arrive, on ne peut pas y faire face. C’est le genre de sentiments que je peux éprouver. En tant qu’êtres humains, vous voulez juste dire : “D’accord, je vais mourir de vieillesse, mais alors, c’est juste un processus normal”.

Pensez-vous que nous puissions l’inverser à ce stade ; avons-nous suffisamment de visibilité pour savoir que nous serons capables de l’inverser ?

Irina : A un moment donné, oui. Pour l’instant, nous ne pouvons clairement pas, pas encore, mais nous faisons de grands progrès vers une inversion, comme pour par exemple la tuberculose, ou la méningite bactérienne. Autrefois, il ne fallait pas diagnostiquer une méningite bactérienne, car il n’y avait pas de remède. On préférait diagnostiquer autre chose. Aujourd’hui on s’empresse de la diagnostiquer, afin de pouvoir mettre les patients sous antibiotiques immédiatement. Je prévois qu’il en sera de même pour le vieillissement ; pour l’instant, nous disons que ce n’est pas une maladie. Puis nous dirons, “prenez ce truc ou faites ceci ou cela, et vous arrêterez la détérioration” ; bien sûr, nous dirons, oui, c’était mauvais, et ça c’est bon. Pourquoi pas ?

Votre attitude a-t-elle changé ces dernières années en termes de probabilité du  rajeunissement, ou cette attitude s’est-elle développée depuis un certain temps déjà ?

Irina : Je ne sais pas, que penses-tu de mon attitude ?

Michael : Je pense qu’elle est tout aussi optimiste, mais elle est de plus en plus axée sur des mesures pratiques à court terme pour atteindre cet objectif.

Donc un changement progressif, pas un moment décisif, « Maintenant nous pouvons le faire ».

Irina : Non, ce n’est pas un moment décisif, « Maintenant nous pouvons le faire ». Personnellement, Mike et moi avons toujours su que nous pouvions le faire, et nous connaissions l’approche stratégique générale pour y parvenir, mais maintenant il y a plus de mesures tactiques. La stratégie a déjà été réalisée, alors maintenant, c’est plutôt : comment va-t-on procéder à la thérapie de rajeunissement ?

Votre travail suggère que les cellules souches ne subissent pas les ravages du temps comme les cellules somatiques, car même les cellules plus anciennes utilisent la télomérase pour maintenir les télomères. Elles ne semblent pas accumuler de dommages dans l’ADN et autour, voire pas du tout, et les cellules souches activées produisent des tissus jeunes et sains, même dans un corps âgé. Qu’est-ce qui empêche les cellules souches de fonctionner correctement lorsque nous vieillissons ?

Michael : Nous avons démontré, avec d’autres, que l’on peut, de l’extérieur, par un signal ou une thérapie sanguine, une parabiose, quelque chose comme ça, une intervention, redémarrer les cellules souches âgées résidant dans le tissu et les amener à se comporter comme des jeunes, ou beaucoup plus proches de la jeunesse qu’elles ne le seraient normalement – quel que soit le moyen de mesure utilisé. La capacité intrinsèque de ces cellules à agir de cette manière est toujours là.

Pourquoi est-elle supprimée si l’on utilise la télomérase ?

Michael : Cela entre dans la théorie personnelle de chacun sur les raisons de notre vieillissement. Je considère le vieillissement comme un simple développement. On est jeune, on grandit, puis on mûrit, et on se différencie. Si vous étiez un organisme très simple, c’est un peu ce à quoi ça ressemblerait. Si vous êtes un humain, c’est beaucoup plus compliqué, mais au fond c’est la même chose. Nous nous épuisons, nous avons tous ces problèmes de dysrégulation et nous mourons parce qu’il n’y a pas eu assez de sélection pour prolonger intrinsèquement notre durée de vie, bien que je croie savoir que l’Homo Sapiens a la capacité de vivre beaucoup plus longtemps que n’importe lequel de nos proches parents singes ou n’importe quelle espèce d’hominidés parmi nos ancêtres. Par chance ou autre, cela est peut-être lié à un retard de développement pour obtenir un gros cerveau, nous nous différencions sur une plus longue période et avons plus de temps à vivre. Par différencier, j’entends atteindre la forme adulte, mature, que ce soit un organisme ou un tissu. Je pense que ce processus est un sous-produit d’un autre processus : il faut différencier les cellules dans un tissu et différencier le tissu en un organe fonctionnel et faire en sorte que tout cela fonctionne ensemble de manière mature. Vous n’avez pas le phénomène de “croissance en dépit des dommages”, la réparation exceptionnelle que vous faites quand vous êtes jeune et en pleine croissance.

Il y a un débat depuis longtemps déjà sur le vieillissement programmé par rapport aux processus stochastiques. Pensez-vous que le vieillissement est programmé, ou s’agit-il simplement d’une dégradation entropique ?

Irina : En gros, pour compléter ce que Mike a dit, même si les cellules souches de notre corps et de nos tissus ont de la télomérase, elles n’activeront pas cette enzyme ou ne se diviseront pas à moins que leur environnement ne leur en donne l’ordre. Parce que si c’était le cas, ce serait horrible, nous ne conserverions pas notre taille et notre forme, nous deviendrions simplement des bouts de chair amorphes. Au lieu de cela, nous avons un processus réglé, et en vieillissant, l’environnement des cellules souches différenciées ne fournit pas d’instruction productive. Il fournit une instruction contre-productive qui, dans l’ensemble, leur dit simplement de rester tranquilles et de ne rien faire. Elles ont donc le potentiel de produire des tissus sains, mais ce potentiel n’est pas réalisé parce qu’elles ne se divisent tout simplement jamais pour produire la cellule suivante qui produira la cellule suivante. Qu’il soit programmé en général ou stochastique, j’avais l’habitude d’argumenter avec Mike dans les deux sens parce que je pensais qu’il était programmé et lui qu’il était stochastique ; maintenant nous sommes arrivés à une compréhension mutuelle que ce n’est ni l’un ni l’autre, ou alors les deux. Ce qui est programmé, c’est notre durée de vie limitée ; même si maintenant nous vivons en moyenne plus longtemps qu’il y a 200 ans, les gens qui ont une longue durée de vie se situent toujours autour de 90 ans, que vous soyez Archimède ou un millenial, c’est toujours 90 ans environ. Donc, c’est programmé, et c’est programmé par de multiples étapes. Ce n’est pas seulement un gène que vous pouvez réinitialiser.

Michael : Ce n’est pas un programme pour vous tuer.

Irina : Exactement. Ce n’est pas un programme pour vous tuer. C’est l’absence d’un programme pour vous garder jeune et en bonne santé pendant plus de 90 ans.

Vous croyez en la théorie du soma jetable du vieillissement. C’est bien cela ?

Irina : Oui. Encore une fois, avec toutes ces théories, je veux juste avertir les gens qu’il n’y a pas d’absolu.

Michael : Quand on me parle de vieillissement programmé, je pense plutôt au saumon et à l’éphémère. Un poisson parfaitement fonctionnel, un insecte parfaitement fonctionnel. Ils atteignent leur apogée et meurent.

Nous ne sommes pas des saumons.

Irina : Nous ne sommes pas des saumons.

Michael : Non, et nous avons des programmes, et le programme est la croissance et la maturité programmée.

Irina : …et quoi faire quand vous êtes une cellule différenciée endommagée. Si votre programme était que chaque fois que vous êtes une cellule différenciée endommagée, vous déclenchez simplement l’apoptose et activez les cellules souches pour en fabriquer de nouvelles, nous vivrions beaucoup plus longtemps et en bonne santé. Le programme actuel consiste à résister à la mort et au remplacement autant que possible et aussi longtemps que possible. Les cellules produisent donc trop de TGF-β car cela les aide à continuer à fonctionner même lorsqu’elles sont endommagées. Cette trop grande quantité de TGF-β, ironiquement, inhibe les cellules souches, de sorte qu’elles ne remplacent pas les anciennes cellules par de nouvelles. C’est presque comme si (j’utilise tout le temps cette métaphore) vous aviez de vieux bureaucrates qui dirigent une organisation et ne veulent pas être remplacés.

C’est une excellente métaphore. Nous ne sommes donc pas programmés littéralement, nous sommes « programmés » par négligence ou mauvaise conception.

Irina : Mauvaise conception, pas efficace. Quoi de mieux, remplacer immédiatement une cellule endommagée ou la faire fonctionner le plus longtemps possible ? Il y a deux options, et l’option a été de continuer à la faire fonctionner le plus longtemps possible.

La prédominance du vieillissement intrinsèque sur le vieillissement extrinsèque est devenue un sujet populaire récemment. Selon vous, quelles études soutiennent le mieux le rôle dominant du vieillissement extrinsèque ?

Irina : Eh bien, la meilleure étude est celle que j’ai montrée aujourd’hui à la conférence, lorsque vous avez une souris complètement jeune, avec un cerveau jeune et un comportement jeune, et que vous lui injectez du vieux sang, une unique fois ;  plusieurs jours plus tard, elle devient vieille selon de nombreux paramètres, et ce n’est pas dû au passage du temps. Nous n’avons pas commencé par l’intrinsèque, nous avons commencé par l’extrinsèque, puis le programme de ce que font les cellules et comment elles se comportent.

Michael : Mais on pourrait aussi dire qu’il y a une certaine composante intrinsèque.

Que pensez-vous de la reprogrammation cellulaire partielle comme thérapie potentielle ?

Irina : Nous avons examiné cela dans le Journal Club, un article, deux articles. Une fois de plus, ce que je veux mentionner, c’est que nos idées sont probablement différentes de celles de la plupart des gens, parce que nous allons voir les données et les données montrent qu’elles ne sont pas vraiment tout à fait ce que les auteurs ont écrit dans le résumé ou la conclusion. Quand on regarde cela, je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à faire avant même de penser à la commercialisation.

Michael : Certaines des choses que nous avons testées sur les souris, est-ce que nous les reprogrammons partiellement ?

Irina : Nous ne les programmons pas avec des iPS jusqu’au stade embryonnaire. Nous réinitialisons leur épigénétique sur des cellules plus jeunes.

En utilisant les facteurs Yamanaka ?

Irina : Nous n’utilisons pas les facteurs Yamanaka.

Qu’utilisez-vous ?

Irina : Tout et n’importe quoi.

Michael : Nous avons publié : l’inhibiteur de TGF-β…

Irina : Ocytocine, échange sanguin hétérochronique…

Michael : Facteur de croissance des fibroblastes, facteur de croissance analogue à l’insuline. Les cellules souches, nous communiquons avec celles des tissus.

Irina : Régime alimentaire et exercice physique. Comment pensez-vous que le régime alimentaire et l’exercice physique fonctionnent ? Ils agissent par le biais d’une recomposition épigénétique de nombreuses choses dans votre corps.

Michael : La signalisation systémique.

Irina : Les gens disent qu’il faut aller jusqu’au chromosome par une étrange thérapie génique, et c’est ainsi que l’on devient plus jeune. C’est tout d’abord peu pratique car la thérapie génique ne fonctionne pas pour des maladies beaucoup plus simples que le vieillissement. Un défaut génétique n’est pas guéri par la thérapie génique. Les multiples défauts génétiques du vieillissement ne vont pas être guéris par la thérapie génique. Plus important encore, elle n’est pas nécessaire car nous pouvons traiter les cellules ou les animaux avec un certain nombre de facteurs de croissance, ou une combinaison de ceux-ci, pour remettre l’épigénome à un état plus jeune.

Il existe de nombreuses preuves qui suggèrent que les dommages intrinsèques du vieillissement jouent également un rôle clé dans le vieillissement. Pensez-vous que des stratégies de réparation seront toujours nécessaires pour le vieillissement intrinsèque même si le vieillissement extrinsèque est réinitialisé, et pourquoi ?

Irina : A un moment donné, oui. Je pense que le premier bond de longévité et de santé viendra d’une intervention sur le vieillissement extrinsèque. Le problème suivant sera l’accumulation de dommages sur l’ADN, donc le vieillissement extrinsèque seul ne fonctionne pas. En gros, les thérapies sur lesquelles nous travaillons actuellement vous permettront probablement de gagner 30, 40 ou 50 années de vie productive supplémentaires pour savoir quoi faire de la prochaine étape, qui est l’amélioration de la réparation de l’ADN.

En 2018, nous avons discuté avec vous de l’idée que le rajeunissement des tissus vieillis était dû à la dilution des facteurs pro-âge dans le sang âgé. Pensez-vous que les données recueillies depuis lors ont conforté l’idée que cette dilution est plus importante que l’ajout de facteurs pro-âge dans le sang jeune ?

Irina : Oui, je pense qu’elles valident cette idée, mais c’est encore préliminaire et en cours, donc nous verrons exactement comment. Nous n’avons pas encore d’expérience simple.

Michael : L’année prochaine.

Irina : Ce que nous pouvons probablement dire, c’est qu’il faut mélanger des sérums jeunes et vieux.

Michael : Nous devons publier cela.

Irina : Nous l’avons déjà publié.

Michael : L’expérience que nous avons faite, en culture, si vous avez des cellules, elles ont généralement besoin d’une sorte de sérum, et elles ont tendance à mieux se développer dans le sérum jeune d’un animal donné que dans le sérum ancien d’un animal donné. Si vous faites l’expérience, « Ok, et si je mélange le sérum jeune et le vieux sérum ensemble ? » Si le jeune sérum contient des éléments positifs qui dominent les éléments positifs ou négatifs du vieux sérum, on peut penser que le jeune sérum l’emportera. Si le vieux sérum contient des substances nocives qui dominent et qui sont plus favorables au vieillissement que les bonnes substances, alors le vieux sérum l’emportera. Nous avons fait cette expérience ; le vieux sérum gagne à chaque fois que nous faisons cela.

À chaque fois ?

Irina : À chaque fois.

Michael : Chaque fois que je l’ai fait, c’est-à-dire quelques fois seulement.

Irina : Si vous comparez cela avec la parabiose, opération qui relie les systèmes sanguins de deux animaux, le jeune animal a un foie et des reins jeunes qui sont capables d’éliminer physiquement les vieux constituants du sang, mais quand vous n’avez pas cela, quand vous les mélangez simplement 50/50 dans une expérience de culture de cellules, alors le vieux sérum gagne. Ces expériences et bien d’autres sont en cours, qui ne se concentrent peut-être pas uniquement sur cette question, mais des dilutions sont en cours.

Vos recherches suggèrent qu’en utilisant des composants extrinsèques, il est possible de rajeunir rapidement et de manière robuste les tissus et les cellules souches âgés et qu’il est également possible de faire vieillir rapidement les jeunes cellules simplement en introduisant ces composants extrinsèques. Cela conforte l’idée que le calibrage des niveaux de facteurs sanguins à un profil plus jeune peut encourager la régénération juvénile des organes et des tissus. Vous l’avez déjà démontré chez la souris ; pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous avez réalisé jusqu’à présent grâce à cette approche ?

Irina : Nous l’avons démontré sur des souris et nous avons financé des essais cliniques de phase 2b comme tests initiaux pour voir si la même approche fonctionnera chez l’homme. Les essais devraient être menés cette année dès que nous aurons les résultats de l’étude, donc rien d’autre à dire que le travail sur les souris, mais bientôt, il y en aura ; quand nous saurons des choses, nous les publierons, et nous sommes prêts à démarrer, donc dans un an, tout le monde devrait savoir.

Vous avez mentionné l’aphérèse aujourd’hui dans votre exposé comme un moyen potentiel de calibrer ces différents facteurs dans le sang âgé afin de restaurer la signalisation productive dans les cellules souches et les tissus environnants. La signalisation est contrôlée par des réseaux connus et une combinaison pourrait ramener les interactions entre les cellules à des niveaux plus jeunes. Comment adaptez-vous l’aphérèse à cette tâche ?

Irina : Nous ne l’avons pas encore adaptée, mais nous avons une subvention du NIH pour travailler sur l’aphérèse de prochaine génération pour les petits animaux, où nous pourrions tester de nombreux modules imbriqués et l’administration précise de certains facteurs. C’est en cours, je travaille en ce moment-même sur la demande de subvention.

Vous avez utilisé BONDCAT pour identifier les facteurs sanguins cibles. Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne et comment vous avez déterminé la combinaison de facteurs à cibler ?

Michael : Les gens font de l’étiquetage métabolique depuis des centaines d’années maintenant. Vous donnez à votre cellule ou organisme préféré un isotope radioactif pour l’acide aminé, il l’absorbe dans la protéine, vous pouvez le détecter plus tard par la radioactivité. BONDCAT fonctionne de la même manière, mais au lieu d’utiliser la radioactivité, l’acide aminé subit une certaine modification chimique qui est ensuite facilement et précisément détectée chimiquement dans une préparation de protéines plus tard. Ce qui est utile pour nos études, c’est que le gène qui code l’enzyme pour aider à lier cet acide aminé à la chaîne protéique a été modifié pour accepter cet acide aminé non naturel. Comme il s’agit d’un gène, il est possible de le modifier. Ainsi, nous avons des souris qui, si vous leur donnez ce substrat d’acide aminé, le mettront dans la protéine produite et, par conséquent, marqueront tout le protéome de cette souris particulière. Vous pouvez même placer ce produit sous contrôle génétique pour pouvoir jouer avec le protéome du cerveau, le protéome du muscle, etc. Cela nous donne la possibilité de prendre cet animal et de dire ce qui est rajeunissant chez cet animal. Nous prenons les signaux, le sang ou tout ce que vous voulez qui est censé rajeunir et nous exposons les cellules ou les tissus d’un autre animal à ces signaux. Nous pouvons alors voir quelles protéines s’assemblent et quelles protéines sont activées par cela, et vice versa ; nous pouvons dire lesquelles sont vieilles et pro-âge.

Ainsi, vous avez suggéré il y a quelques années que vous pensiez que seuls quelques facteurs primaires et leurs interactions devraient être ciblés pour l’étalonnage. Pensez-vous toujours que c’est le cas, et quels sont ces facteurs ?

Irina : Nous pensons toujours que c’est le cas parce que, généralement, nous ne disposons que de quelques facteurs limités pour construire des organes pendant l’embryogenèse. Dans plusieurs de nos articles, nous avons constaté que la même combinaison de facteurs fonctionne de manière similaire pour réparer les organes à l’âge adulte. Les mêmes facteurs ne fonctionnent pas lorsque nous vieillissons. Le nombre de facteurs sera limité ; il ne sera pas de 70, 100, 4 000 ou 50 000. Lesquels, bien sûr, nous ne pouvons pas vous les dire avant la publication de l’ouvrage.

Quels sont les principaux facteurs que vous avez identifiés à l’heure actuelle, le cas échéant ?

Michael : Nous avons, avec d’autres, identifié des facteurs de croissance dans la voie de la MAP kinase.

Irina : La voie de la MAP kinase, TGF-β, ce sont les principaux facteurs. Ocytocine dans la voie de la MAP kinase. Interleukine 6, SASP, phénotype de sécrétion des cellules sénescentes.

Michael : Il y a plein de voies de signalisation. Ce sont des nœuds, et vous essayez d’aller vers leurs nœuds.

Dans le même ordre d’idées, s’il s’avère qu’il y a en fait des centaines de facteurs à calibrer, comment l’aphérèse pourrait-elle être adaptée pour gérer ce genre de complexité ?

Irina : En fait, l’aphérèse est un programme d’ingénierie et un problème qui peut être résolu par des approches d’ingénierie. Nous n’avons pas besoin de 100 facteurs, mais disons que 75 valeurs ou 50 facteurs pourraient être mesurés avec précision et pourraient être calibrés précisément par ordinateur. Il s’agit d’une nouvelle combinaison de quelques plates-formes d’ingénierie déjà existantes. C’est la partie du travail qui est partiellement financée par le NIH et partiellement par d’autres sources.

Utilisez-vous le Deep Learning ?

Irina : Nous utiliserons le DL et le Machine Learning dans un second temps. La première étape consisterait à développer suffisamment d’algorithmes et de modèles pour lancer l’apprentissage automatique.

L’aphérèse est déjà approuvée par la FDA, ce qui devrait faciliter l’adaptation de la technologie et son homologation. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées jusqu’à présent pour la faire approuver ?

Irina : Aucune difficulté, jusqu’à présent, il n’y a pas vraiment d’obstacle, c’est relativement facile. Il s’agit plutôt d’un problème de temps, pour amener les administrateurs à travailler sur les homologations dont vous avez besoin, plutôt que de vrais obstacles ou retours en arrière.

Je pense que vous avez peut-être déjà répondu à cette question, mais croyez-vous, en supposant que les choses se passent bien, que cette thérapie pourrait faire l’objet d’essais cliniques dans les cinq prochaines années ?

Irina : Des essais cliniques sur l’homme cette année.

Michael : La seule chose qui lui permet d’être disponible massivement est qu’elle est déjà approuvée par la FDA [Food & Drug Administration, NDT] ; tout praticien de santé pourrait la prescrire.

Irina : Sous notre direction.

“Notre » signifie votre laboratoire ?

Michael : C’est la valeur ajoutée qui permet de faire fonctionner la thérapie.

Irina : Ce que Mike disait était exact : tout médecin agréé peut potentiellement la prescrire, mais le diable serait dans les détails ; si vous voulez calibrer quelque chose qui, si vous ne le calibrez pas correctement, vous fera arrêter la production de globules rouges, vous causerez certainement plus de mal que de bien, et pas d’amélioration du tout.

Étant donné que l’aphérèse est disponible, pourquoi continue-t-on à s’intéresser à la transfusion de plasma pour le rajeunissement, et est-ce vraiment pratique ou plausible ?

Michael : Oui, ça a connu une accélération, effectivement, ces dernières années. Les théories concurrentes doivent se développer pour faire leurs preuves. Nous pourrions en dire beaucoup à ce sujet, mais tant que les gens n’y croient pas ou que quelqu’un d’autre ne reproduit pas certaines expériences, ces choses continueront.

Irina : Je peux vous dire ceci, certaines personnes, pas beaucoup, mais certaines personnes justifient les transfusions de plasma avec notre article original de 2005 sur la parabiose, et rien dans cet article ne justifie le fait d’apporter du plasma jeune à une personne âgée, un vieux mammifère. Il n’y a aucune preuve. Le scientifique responsable en tant que premier auteur de cet article est aussi le dernier auteur principal d’un article sur les échanges sanguins hétérochroniques publié dans Nature en 2017 ou 2016 ; il n’y a aucune justification d’une telle opération dans ses articles. Si les gens veulent utiliser du plasma jeune, ils doivent justifier cela par autre chose, pas par mon travail.

Comment comparer votre travail à celui d’Alkahest, par exemple ?

Irina : Mon travail ? Mon travail montre que si vous mélangez 50% de sang jeune avec 50% de sang vieux, le sang vieux domine et il n’y a pas d’effet positif du sang jeune.

Donc l’approche d’Alkahest n’a pas de bonnes données pour l’étayer ?

Irina : Mes données ne soutiennent pas cette approche. Je ne sais pas quelles données ils pourraient avoir, mais ce ne seraient pas mes données.

Vous collaborez avec Judy Campisi, qui travaille sur les cellules sénescentes et les sénolytiques. Vous avez mentionné que nous devons être prudents et que la simple destruction des cellules exprimant la [protéine] p16 peut être problématique, car nous ne comprenons pas encore pleinement l’hétérogénéité des cellules sénescentes. Pouvez-vous expliquer davantage ce qui vous préoccupe ici ?

Irina : En fait, ce n’est pas ma préoccupation ; c’est une préoccupation partagée par de nombreux chercheurs dans le domaine de la sénescence, y compris Judy Campisi, qui est une merveilleuse collaboratrice et une bonne amie. La protéine p16 ne peut pas être utilisée comme un marqueur unique des cellules qui sont mauvaises et doivent être détruites, vous devez améliorer la compréhension de ce que sont les cellules sénescentes, quels marqueurs identifient les mauvaises parmi les bonnes avant d’utiliser la moindre approche thérapeutique. C’est la première chose. La seconde est que la p16 est régulée à la hausse, même dans les tissus pulmonaires, lorsque les cellules se différencient. C’est l’une des caractéristiques de la différenciation cellulaire, et pas seulement du vieillissement. La troisième préoccupation est que les cellules qui sont considérées comme sénescentes sont en fait aussi bonnes pour certaines choses. Par exemple, ils ont réalisé un modèle de lésion sur la peau, et si vous n’avez pas de cellules sénescentes, cela ne guérit pas très bien. Il y a de nombreuses mises en garde, et ce qui se dégage c’est que, que l’on parle d’Alkahest, de plasma jeune ou de cellules sénescentes, il n’y a pas de remède simpliste contre les maladies liées à l’âge, et les points de vue simplistes seront erronés et pourraient causer des dommages, en particulier chez les personnes qui ne sont pas des scientifiques, qui ne sont pas éduqués dans ce domaine.

Alors, pensez-vous que les sénolytiques pourraient être développés en tant que thérapie appropriée, parallèlement au calibrage sanguin ? Si oui, quels sont les défis à relever pour y parvenir ?

Irina : Nous ne pouvons pas faire de commentaires à ce sujet car nous n’y avons pas vraiment réfléchi.

Michael : Ce que je pense des sénolytiques, c’est qu’il semble évident qu’il pourrait y avoir de bons sénolytiques efficaces, mais qu’il ne faudrait pas se sénolyser continuellement.

Pensez-vous que les sénolytiques pourraient agir ponctuellement pour s’attaquer à des symptômes plus généraux, mais qu’après cela, ils peuvent être risqués, ou dites-vous, en général, de ne pas du tout s’engager dans cette voie ?

Michael : Je ne sais pas encore vraiment. Nous essayons de comprendre.

Irina : Mon principal argument est que, qu’il s’agisse d’une perfusion de plasma jeune ou de sénolytiques, il faut empêcher les gens de commencer à les utiliser sur eux-mêmes avant d’en comprendre tous les effets secondaires, et de se suicider en gros.

Donc, vous pensez que l’auto-expérimentation DIY devrait être abandonnée ?

Irina : Exactement. C’est là où je veux en venir. Ou même si vous proposez certains services, du genre, « Je vais vous injecter du plasma ou des sénolytiques ». Je pense que cela devrait être fait de manière très consciencieuse, de telle sorte que cela ne soit pas seulement approuvé par la FDA, mais qu’elle le cautionne comme étant hautement fondé. Certaines de ces déclarations sont dangereuses, et les gens pourraient gravement nuire à leur propre santé.

Michael : Je ne pense pas que cela devrait nécessairement l’être. J’ai été heureux que la FDA intervienne à l’occasion sur ce genre de choses. Je ne pense pas que cela devrait nécessairement être illégal. Dans les premières années de l’aviation, les gens mettaient leur veste et leur foulard autour du cou et sautaient dans un avion bancal pour s’envoler, s’écraser et mourir.

Pour la science.

Michael : Cela pourrait être pour la gloire, cela pourrait être pour la science. Ça peut être juste pour être cool, ou ça peut être n’importe quoi. Et je ne juge pas. C’est juste que tu dois réaliser que tu es en train d’expérimenter par toi-même. Tu pourrais mourir de certains de ces trucs, tu ne sais pas. Alors ils appellent la FAA, et la FAA dit : « Ok, nous avons quelques règles et règlements. Vous devez suivre ça et peut-être que vous augmenterez vos chances de vivre », et certaines personnes disent : « Je n’aime pas ces règles et règlements ». Tu peux décoller quand même et devenir un pilote de brousse ou d’ULM, mais tu ne peux pas t’arranger avec les lois de la physique.

Irina : Oui, exactement. Ce qui amène ce point sur l’effet placebo, et ce qui cause ma déception et ma crainte pour la sécurité des gens, c’est que beaucoup de gens qui voudraient utiliser des sénolytiques ou du GDF-11 ou des choses de cette nature qui ne sont pas encore rigoureusement testées, du plasma jeune, ils le font parce qu’ils croient que c’est quelque chose qui va les sauver, que c’est quelque chose dont l’utilisation n’est pas autorisée, mais que s’ils trouvent le moyen secret de l’utiliser, ils seront plus malins. Je pense que nous devrions les avertir d’une manière ou d’une autre en leur disant que ce n’est pas le cas. Comme l’a dit Mike, c’est comme sauter dans un avion en carton et essayer de voler quelque part en tant que premier pilote d’essai de cet avion. Si cela pouvait être communiqué aux gens d’une manière ou d’une autre, alors peut-être que je me sentirais mieux en ce qui concerne le biohacking ou l’utilisation de cette technologie. S’ils comprennent les dangers, très bien ; s’ils ne comprennent pas les dangers, j’aimerais peut-être que les dangers soient mieux expliqués.

Nous allons maintenant vous interroger sur l’opportunité de créer votre propre entreprise de biotechnologie que vous avez révélée aujourd’hui ; vous venez de lancer IMU. Parlez-nous donc d’IMU, votre nouvelle entreprise.

Irina : Nous avons donc créé IMU en novembre de l’année dernière, donc tout récemment. Nous avons une représentation juridique, un cabinet d’avocats d’affaires qui nous est recommandé.

Quel cabinet ?

Irina : Gunderson, et ils sont chaudement recommandés par un de mes anciens étudiants qui a lancé son entreprise avec succès. Nous avons donc trois ou quatre autres scientifiques à bord, et je me sens donc vraiment protégée et conseillée à cet égard. Comme mes anciens collaborateurs de Berkeley, par exemple, le professeur Dave Schaffer, qui a lancé 4D. Ils m’ont donc recommandé Gunderson. Notre cabinet d’avocats Gunderson est spécialisé dans les phases de démarrage, et ils nous aident à avancer pour le lancement. En ce moment, nous sommes en train de constituer une équipe très solide de scientifiques seniors et juniors. Je n’ai pas ma lettre d’intention devant moi, mais pour paraphraser, nous ne projetons pas de vous faire vivre plus longtemps ; nous avons l’intention de vous rendre en bien meilleure santé et de vous protéger des ravages du vieillissement pendant des décennies supplémentaires.

Par l’aphérèse ?

Irina : Grâce à quelques technologies innovantes.

Allez-vous abandonner le monde universitaire pour poursuivre cette voie ou s’agirait-il d’une entreprise secondaire ?

Irina : Nous avons un environnement très favorable à l’esprit d’entreprise à Berkeley. De nombreux professeurs créent des entreprises en tant que fondateurs, puis les poursuivent en tant que consultants et prennent du recul une fois que l’entreprise a réussi et que le reste se porte bien. Nous serons dans une situation similaire. Je commence en tant que co-fondateur, il y aura un autre co-fondateur senior, nous avons déjà un conseil d’administration et un médecin en chef, et quelques personnes qui ont passé des entretiens pour des postes de PDG. Une fois que tout sera lancé, que nous aurons mis en place les services de rajeunissement et que tout sera sur des rails, je prendrai du recul. Il s’agit de quelques technologies de rajeunissement innovantes qui sont basées sur nos brevets mais qui ne sont pas identiques à nos travaux présentés ou publiés.

Eh bien, félicitations et bonne chance. Y a-t-il une question que les interviewers ne vous posent jamais et que vous aimeriez que nous vous posions aujourd’hui ?

Michael : Devriez-vous écrire à votre député ou à l’assemblée législative de votre État pour les encourager à soutenir la recherche contre le vieillissement ?

Pensez-vous que le grand public n’est pas assez engagé ?

Michael : Oui.

Sur le plan des politiques en faveur de la longévité ?

Michael : Nous sommes une bande de cinglés, pour le grand public.

Cela change rapidement ; il semble que beaucoup de gens reconnaissent aujourd’hui que nous sommes en quelque sorte à l’aube de quelque chose.

Michael : Chez les connaisseurs, ça change.

Irina : C’est vrai. Quel est le pourcentage de la population qui comprend qu’il existe une recherche sur le rajeunissement et qu’elle pourrait être fructueuse ? Quand nous allons à ce genre de conférences, il semble que nous y soyons tous, mais si vous comparez avec la population générale, c’est probablement moins de 1%. Il sera très important de mieux toucher les gens, de les protéger contre certains abus et d’améliorer leur compréhension de ce qui est en cours. Si vous savez qu’un meilleur avion, un avion plus sûr, est en cours de construction pour vous emmener d’un continent à l’autre, allez-vous monter dans votre avion en carton ? Probablement pas. Vous direz probablement : « D’accord, je peux attendre quelques semaines. »

Porte-parole de l'AFT