Régulation française et internationale en matière de thérapie génique

Introduction: L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Le 26 novembre dernier, He Jankui, chercheur à l’université de Shenzen (Chine) a annoncé la naissance de deux bébés viables dont il a réussi à corriger l’ADN afin de les immuniser contre le VIH. Le scientifique chinois a eu le sens du timing, en présentant ses travaux deux... [lire la suite]

Publié le 20 juillet 2019, par dans « transhumanisme »

Introduction:

L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Le 26 novembre dernier, He Jankui, chercheur à l’université de Shenzen (Chine) a annoncé la naissance de deux bébés viables dont il a réussi à corriger l’ADN afin de les immuniser contre le VIH. Le scientifique chinois a eu le sens du timing, en présentant ses travaux deux jours avant l’ouverture du sommet international de l’édition du génome humain à Hong Kong, ses recherches ont inévitablement été au centre des débats.

Grâce à l’utilisation d’une technique très récente dénommée CRISPR/cas9, fruit des travaux de plusieurs scientifiques de nationalités diverses mais révélée au grand jour en 2012  par l’Américaine Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier, ce chercheur chinois aurait réussi à modifier le gène CCR5 (situé sur le chromosome 3 humain) impliqué dans l’infection du VIH. Si l’on résume simplement, ce gène permet de synthétiser une protéine qui agit comme récepteur aux chimiokines et plusieurs formes du VIH utilisent ce récepteur pour entrer dans les cellules hôtes et les infecter.

Cette annonce a suscité un fort sentiment de malaise au sein de la communauté scientifique situé entre effroi et fascination. Il s’agit en effet d’une expérience a priori incompatible avec l’esprit des préceptes de bioéthiques consacrés dans la déclaration d’Helsinki (1964) ou dans les Ethical guidelines for biomedical researches involving human beings de l’OMS. L’université du chercheur s’est même désolidarisée de ses travaux.

Récemment, un biologiste Russe nommé Denis Rebrikov  a annoncé à la revue Nature sa volonté de pratiquer la même expérience en réunissant des femmes infectées du virus du VIH à Moscou.

Si la majorité de la communauté scientifique réprouve l’utilisation de CRISPR pour modifier le génome d’embryons en affirmant qu’il est trop tôt, après seulement quelques  années de tests sur les végétaux et animaux, l’année 2019 devrait marquer un tournant pour la technique CRISPR. D’ici un à trois mois une équipe de médecins canadiens a décidé d’utiliser cette technique pour corriger le gène qui provoque chez les patients une maladie du sang appelée bêta thalassémie sévère. Si l’injection par intraveineuse de cellules prélevées dans la moelle osseuse et rendue saines fonctionne, leurs corps seront capables de produire de l’hémoglobine, chose impossible auparavant.

Plus impressionnant encore, des médecins de Boston ont cette fois l’intention d’utiliser cette technique pour corriger un gène responsable d’une cécité héréditaire précoce. Si l’opération fonctionne, les patients retrouveront la vue !

Il peut sembler étonnant que l’on se réjouisse de l’utilisation de CRISPR sur des patients malades afin de les soigner mais que l’on s’insurge de l’utilisation de la même technique sur des embryons. Toutefois, ces deux actions n’ont indiscutablement pas les mêmes conséquences.

Pour schématiser, une fois qu’il est né, l’ADN présent dans les cellules d’un individu est stable. Autrement dit, même si l’on corrige certains gènes « malades » cela n’influe pas sur sa descendance. A contrario, l’édition génique in utero peut avoir pour répercussion la modification de l’ADN dans les gamètes et donc conduira potentiellement à la transmission de cet ADN modifié à la descendance. Si l’on pousse le raisonnement, le risque est donc de créer une nouvelle génération d’humains modifiée artificiellement en laboratoire. On peut donc facilement imaginer une levée de bouclier à l’encontre de possibles dérives liées à cette utilisation.

Si l’utilisation de la technique CRISPR/cas9 par le professeur chinois est innovante du point de vue de l’édition génomique, il ne s’agit pas de la première expérience de traitement chirurgicale in utero. En effet, dès 1986 à Baltimore aux USA, des neurochirurgiens avait procédé à une opération sur un fœtus de 28 semaines dans le but de guérir une anomalie grave, l’hydrocéphalie. En effet, il a été démontré que si une lésion telle est corrigée suffisamment tôt, le fœtus peut se développer normalement.

Dès lors, des questions d’ordre éthique se sont posées : le fœtus doit-il être considéré comme un malade ? Peut-on consentir au nom du fœtus ? Dans quel mesure peut-on créer des bébés génétiquement modifiés?

Après ces considérations liminaires, rentrons dans le vif du sujet : comment le droit international et le droit français se positionne-t-il en matière d’édition génomique ? De telles expériences seraient-elles réalisables dans un laboratoire de recherche français ? Comment s’articule le cadre juridique autour des progrès fulgurants (et quotidiens) en génétique ?

Préalablement, il faut savoir que la technique CRISPR/cas9 constitue une révolution scientifique pour une raison double : en plus d’être bien plus efficace que les autres processus d’édition génomique elle est également bien moins chère (une centaine de dollar environ).

Aussi appelée technique “des ciseaux moléculaires”, CRISPR se fonde sur une enzyme (cas 9) permettant de modifier le génome d’un végétal ou d’un animal dans un processus de  génie génétique. Le processus repose sur cette enzyme “scalpel” qui, guidée par une molécule d’ARN pré-modifiée, est capable de couper les deux brins de l’hélice d’ADN à l’endroit souhaité afin d’inactiver des gènes ou d’en introduire de nouveaux.

Le génie génétique (fait de modifier la constitution génétique d’un organisme en introduisant ou supprimant de l’ADN) orienté vers les végétaux constitue une part importante des recherches génétiques actuelles de façon à corriger des gènes correspondant à des propriétés indésirables ou au contraire à renforcer une caractéristique intéressante. Mise au point en 2012 par la Française Emmanuelle charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, la méthode CRISPR/cas9 ouvre un large champ de possibilités. Néanmoins, la technique en est encore à ses balbutiements, raison pour laquelle les deux scientifiques sont très prudentes voire inquiètes de son utilisation sur des êtres humains. Malgré les bons résultats connus ce jour, elles ne peuvent certifier l’infaillibilité de cette technique. En effet, l’enzyme utilisé en “ciseau” modifie parfois des gènes de manière imprévue. Par exemple, en Chine des lapins rendus artificiellement plus charnus sont nés avec une langue atrophiée. Cela pourrait engendrer des dérèglements dangereux.

De fait, partout dans le monde, la question de la régulation de ces végétaux ou animaux génétiquement modifiés pose question. Le Ministère de l’Agriculture américain (the US Department of Agriculture) a déjà précisé que ce type de modifications génétiques chez des plantes cultivées, où il n’y a pas d’ajout d’un gène d’un autre organisme, et dont le produit final est similaire à des variétés obtenues par des procédés traditionnels ne ferait a priori pas l’objet de régulations. L’Union Européenne doit quant à elle déterminer dans les prochains mois si ce type de produits est concerné par les lois actuelles sur les organismes génétiquement modifiés. Il existe en effet plusieurs règlements dont le but est de protéger la santé humaine et animal. Par exemple, selon le Règlement CE 1829/2003, les aliments contenant des organismes génétiquement modifiés doivent faire l’objet d’un contrôle de l’innocuité avant leur mise sur le marché communautaire.

Qu’en est-il en France ? 

La promulgation en 1994 de trois lois de bioéthiques en France a été un événement précurseur dans la régulation des interventions techniques sur le corps humain et sur la déontologie des chercheurs. Bien que la déclaration d’Helsinki (1964) ait posé les jalons des préceptes d’éthique dans le domaine de la recherche médicale, ces lois inspirèrent d’autres États européens qui firent de même en édictant de grands principes dans leurs droits respectifs. Par exemple, la recherche sur les embryons est interdite en Allemagne depuis 1990 (même si la recherche sur les cellules souches embryonnaires est autorisée depuis 2002). La réglementation de la recherche génétique en France a fait l’objet d’une codification qui a touchée plusieurs pans du droit. En effet, on trouve des éléments d’organisation de la recherche biomédicale dans le code civil et le code de la santé publique et des éléments de sanctions dans le code pénal. Au sein de cette thématique très large, on distingue des cadres juridiques spécifiques selon le type d’expérimentations. Par exemple, le clonage reproductif est fermement interdit en France mais il est possible d’effectuer d’autres sortes d’expérimentations sur l’être humain dans certaines conditions.

Le droit français a, depuis la loi Huriet-Sérusclat de 1988, cherché à encadrer les recherches biomédicales sur l’être humain. Ainsi, outre une régulation des pratiques telle que le fait que l’expérience doit viser à étendre la connaissance scientifique de l’être humain, qu’elle doit être réalisée par un professionnel qualifié dans des conditions matérielles et techniques adaptées, les parlementaires français ont conditionné la réalisation de ces essais biomédicaux à une autorisation administrative. Des lois semblables ont été promulguées dans d’autres États européens comme en Belgique en 2004.

En effet, depuis la loi de 1988 ont été créés les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (devenus les comités de protection des personnes en 2004) dont le rôle est d’émettre un avis préalable sur « les conditions de validité de toutes recherches sur la personne humaine. On trouve l’équivalent dans les pays anglo-saxons sous le nom de « ethical research comitee ».

En plus de l’avis favorable des CPP, l’autorité compétente en matière de recherches sur la personne humaine est l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. En vertu de l’article L. 1123-12 du code de santé publique, elle se prononce au regard de la sécurité des personnes qui se prêtent à la recherche sur les conditions techniques de l’expérimentation mais également sur la pertinence de la recherche. Autrement dit, l’expérience doit être justifiée d’un point de vue médical mais également d’un point de vue éthique.

Le cas qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de l’utilisation de la technique d’édition génomique CRISPR/cas9 est donc celui des expérimentations sur les embryons.

Premièrement, dans Condition juridique du corps humain de X. LABEE (1990), il est rappelé que la loi du 20 décembre 1988 (dite loi Huriet-Sérusclat) sur l’expérimentation humaine permet l’expérimentation sur l’individu qui y consent. Néanmoins, il est précisé que si les recherches sont entreprises sur une femme enceinte et que des risques prévisibles pour sa santé ou celle de son enfant sont présents, alors des sanctions pénales peuvent être encourues. Il s’agit ici d’une manifestation du principe de précaution afin de protéger la vie de l’enfant à naître. Ainsi, il semble qu’une expérimentation sur des embryons tel qu’une immunisation contre le VIH ne serait envisageable que si l’on est certain qu’elle est sans risque pour l’enfant à naître.

Par ailleurs, concernant la modification du génome de l’embryon, l’article 16-4 du code civil dispose que “nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine”, puis que “sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportées aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance”. Ainsi, il apparaît donc que le cadre juridique français réprouve l’utilisation de technologies d’édition génomique sur un embryon puisqu’elle reviendrait à autoriser les thérapies géniques germinales. Néanmoins, on peut souligner qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucun principe à valeur constitutionnelle consacrant le patrimoine génétique. 

Un encadrement européen relativement bien développé

Pour ce qui est de la recherche bio-médicale comme dans tous les domaines, le cadre juridique en vigueur en France n’est pas seulement issu du droit national. La France est liée par des conventions internationales et également par le cadre juridique européen. Autrement dit, même si les débats parlementaires sur la nouvelle loi de bioéthique se concluaient par une volonté d’autoriser l’édition génomique sur des embryons, cela ne pourrait se faire sans respecter certaines règles édictées par le droit international.

À l’échelle européenne, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, organisations internationales composées respectivement de 28 et 47 États-membres ont joué un rôle dans la régulation des thérapies géniques.

Une directive du Parlement européen et du conseil du 4 avril 2001 enjoint les États-membres à harmoniser leurs dispositions législatives et réglementaires relatives aux bonnes pratiques dans la conduite d’essais cliniques sur des médicaments à usage humain (incluant notamment les “produits destinés aux thérapies géniques et cellulaires”). La transposition obligatoire de cette directive a conduit à la révision approfondie de la loi Huriet afin de renforcer le rôle des comités de protection des personnes.

Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale compétente pour traiter des questions liées au triptyque de la protection des droits de l’homme: le renforcement de la démocratie et prééminence du droit en Europe. Il est notamment à l’origine de la célèbre Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (souvent raccourcie en CEDH). En 1997 est signée la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine à Oviedo en Espagne. Accompagnée de quatres protocoles relatifs à l’interdiction du clonage d’être humain, la transplantation d’organe et de tissus d’origine humaine, la recherche biomédicale et aux tests génétiques à des fins médicales, elle a été ratifiée par les parlementaires français le 13 décembre 2011 et est entrée en vigueur le 1er avril 2012. L’article 13 de cette convention concerne directement la question des modifications génétiques sur des embryons puisqu’il dispose justement qu’ ”une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance”. Cela conforte à nouveau l’idée que la thérapie génique germinale ne peut être envisagée en France. Néanmoins, cette convention n’a pas une force contraignante partout en Europe, en effet, elle ne s’applique pas au Royaume-uni par exemple.

Les principes fondamentaux de la bioéthique  consacrés par la communauté internationale dès les années 1960

La déclaration d’Helsinki adoptée en 1964 par l’Association médicale mondiale (world medical assembly) est un ensemble de recommandations à l’intention des médecins procédant à la recherche biomédicale chez l’homme. Tout comme la recommandation du comité des ministres du conseil de l’Europe de 1990, elle conditionne la légalité des expériences médicales sur des êtres humains par l’absence d’atteinte à la dignité de l’être humain.

La principale source de conflit avec l’expérience menée par le professeur chinois He Jankui, bien qu’elle soit à visée thérapeutique, concerne le consentement éclairé de l’individu volontaire. Dans le cas d’un fœtus, la question se pose de savoir si l’autorisation parentale est valable dans des expériences mettant sa santé sérieusement en danger.

Par ailleurs, en 1997, l’ONU, par le biais de l’UNESCO, proclame la Déclaration universelle des droits sur le génome humain et les droits de l’homme. L’article premier consacre le génome humain comme patrimoine mondial de l’humanité dans le sens où il « sous-tend l’unité fondamentale de tous les membres de la famille humaine ». 

Une réflexion juridique nécessaire sur les thématiques liées aux thérapies géniques.

Bien qu’elle ait provoqué un tollé au quatre coins du globe, l’expérience de He Jankui a le mérite d’intensifier les débats éthiques et juridiques autour de la question des thérapies géniques. Les États généraux de la bioéthiques organisés en prévision de la nouvelle loi  bioéthique ont connu une participation citoyenne intéressante. On peut remarquer une très forte mobilisation  de la communauté catholique et en particulier du diocèse de Paris. Les débats sont en cours à l’Assemblée nationale : une autorisation des thérapies géniques sur les embryons semble à l’heure actuelle n’être pas la priorité.

La Chine, pointée du doigt dans cette affaire, s’est également empressée de renforcer son droit national afin d’encadrer les pratiques. 

À l’échelle internationale, un groupe de 18 experts s’est constitué précipitamment à la suite de l’annonce de la naissance des deux bébés génétiquement modifiés et s’est réuni pour la première fois à Genève en mars dernier. Le but de ces réunions est de définir des règles de gouvernance et de surveillance en matière d’édition du génome humain. Ainsi, les 18 experts issus de 7 pays qui composent ce comité ont appelé le 14 mars 2019 dans la revue Nature a un moratoire de 5 ans sur tout usage clinique de l’édition génomique à des fins reproductives.

Cet appel est soutenu par de nombreux instituts de recherches européens et américains, notamment le National Institute of Heath situé dans le Maryland, qui n’a pas le droit de faire de telles expérimentations.

Tant que la question n’aura pas été tranchée et qu’un cadre juridique clair ne sera pas posé, il sera difficile d’empêcher des scientifiques tel que le biologiste russe Denis Rebrikov de procéder à de telles expériences sur des embryons, justifiée par une vocation thérapeutique.

Chloé Rousset, juillet 2019