COVID-19 : L’engagement techno-progressiste
Tout choc global, que ce soit une guerre, un désastre majeur ou une pandémie, porte en lui les germes d’un changement. La pandémie actuelle créée par le SARS-COV-2 ne fera pas exception compte tenu de son impact.
Publié le 6 avril 2020, par dans « transhumanisme »
Une tempête politique
Tout choc global, que ce soit une guerre, un désastre majeur ou une pandémie, porte en lui les germes d’un changement. La pandémie actuelle créée par le SARS-COV-2 ne fera pas exception compte tenu de son impact. Cela a d’ailleurs déjà été amorcé avec la Commission Européenne réagissant aux dérives sur la vie privée constatées face au COVID-19 1, ou des voix en Corée du Sud levant les mêmes questions sur la limite à la diffusion libre des données privées.2 Nul doute que d’autres conséquences imprévues seront à attendre.
En son temps, la grippe espagnole, par son ampleur, avait amorcé l’idée d’une internationalisation de la gestion du risque pandémique. En effet, elle poussa la « Société Des Nations » à créer le « comité d’hygiène de la SDN », en quelque sorte l’ancêtre de l’OMS.3 Il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que, sous l’égide de la nouvelle « Organisation des Nations Unies », l’ancienne « Organisation d’Hygiène de la Société des Nations » devienne « l’Organisation Mondiale de la Santé » en fusionnant avec deux autres organisations :
- « L’Office international d’Hygiène publique » (OIHP) basé à Paris ;
- « L’Organisation sanitaire panaméricaine » basée aux Etats-Unis.
Il y a fort à parier que le COVID-19 nécessite une refonte de l’ordre international pour pallier les insuffisances mises en lumière en termes de collaboration scientifique inter-états. D’ailleurs le phénomène est déjà à l’œuvre et parfaitement illustré par le site de la « John Hopkins University »4 qui donne un aperçu temps-réel de l’évolution de la pandémie : du jamais vu dans l’histoire des pandémies. Ce site illustre à la fois l’évolution des mentalités, plus ouvertes au partage d’information global, et aux progrès de l’économie numérique.
De même, il paraît difficilement concevable que cette pandémie n’ait pas d’impact localement dans les différents pays qu’elle touche (modification de comportements sociaux, d’habitudes, d’attitudes civiques, d’exigence des populations sur l’état de l’infrastructure sanitaire, etc.), mais sur ce point il devient difficile de faire une prospective efficace. Ce qu’elle illustre avant tout, ce sont les faiblesses et les forces des différentes sociétés touchées.
Nombreux sont ceux aujourd’hui louant la Chine pour sa réactivité face à cette pandémie. Il est vrai que la réaction extrême du PCC poussant en quarantaine des millions d’individus et sacrifiant l’économie pour la juguler est inédite, sans pour autant lever les soupçons de sous-estimations des chiffres officiels sur le nombre réel des victimes de l’épidémie.5 Mais il ne faut pas non plus oublier que le docteur Li Wenliang (malheureusement décédé du COVID-19), et d’autres docteurs lanceurs d’alerte, furent arrêtés et sommés de ne pas propager de « fausses rumeurs » quand en décembre 2019 ils signalaient l’émergence d’un nouveau coronavirus ressemblant au SRAS.6 Une étude prétend même que si les autorités chinoises avaient écouté ses docteurs lanceurs d’alerte au lieu de tenter de les réduire au silence, le nombre de malades pourraient être inférieur de 95%.7 Ceci illustre que la diffusion libre d’information est nécessaire pour réagir à temps à une épidémie, car dans ces cas-là le temps est crucial.
Ceci est très similaire dans son déroulé à la grande peste de Marseille de 1720 où le premier échevin de Marseille à l’époque (soit la plus haute fonction de la ville), Jean-Baptiste Estelle8, fut responsable de l’épidémie en sacrifiant la sécurité à la recherche du profit, avant de réagir de manière exemplaire une fois l’épidémie en cours. À l’époque comme aujourd’hui, ce fut l’absence de réel contre-pouvoir qui aggrava la situation. De nos jours nous possédons une meilleure compréhension et des moyens d’action pour combattre ces maladies, ce qui devrait nous permettre une meilleure efficacité une fois la mesure de la dangerosité de l’agent pathogène intégrée.
Par sa nature autoritaire, le régime chinois a eu les leviers nécessaires pour contraindre sa population à une quarantaine extrême afin d’enrayer l’épidémie. Mais cela ne signifie pas qu’il faut moins de démocratie. Au contraire, toute cette situation illustre surtout à quel point la libre diffusion d’information est un atout face à des dangers demandant réactivité et apprentissage rapide pour les contrer. C’est bien pour de telles situations que les transhumanistes rassemblés lors de TransVision 2017 à Bruxelles avaient réaffirmé leur réengagement9 sur ces principes de la Déclaration techno-progressiste de 2014.10
Reste à savoir si la réaction, certes tardive, mais exemplaire du gouvernement chinois sera suffisante pour lui garder la confiance de sa population, son « Mandat du Ciel ».11 Car même s’il n’est plus une doctrine officielle, ce terme illustre en partie le lien entre le peuple chinois et ses dirigeants.12 Et ce ne serait pas une première si un pouvoir en place en Chine perd sa légitimité à la suite d’une épidémie. Ainsi les dynasties Ming et Qing subirent ce sort.13 C’est d’ailleurs durant la troisième pandémie de peste à la toute fin du règne de la dynastie Qing qu’Alexandre Yersin14 identifia yersinia pestis.15
Outre la Chine, cette pandémie de COVID-19 illustre aussi les points faibles dans différents autres pays. La situation en Corée du Sud confirme encore que la rétention d’information est un danger face à un risque pandémique. L’explosion des cas est directement lié à la secte Shincheonji connue pour être fermée et peu encline au partage d’information, c’est cette caractéristique qui a freiné l’action du gouvernement coréen à l’amorce de l’épidémie.16 Depuis, le pays a imposé à cette secte un changement de positionnement, et a lancé une campagne de dépistage agressive qui lui a permis de contrôler l’épidémie sans recours à une quarantaine totale de la population.17
De même Singapour, avec une politique de reconstruction des liens de contamination a pu garder cette épidémie sous contrôle sans encore nécessiter de quarantaine globale.18
En Occident, coincé entre soupçon de négligences19 et accusations de désinformation officielle20, le virus s’est bien installé ; en outre, l’épidémie fait prendre conscience de l’importance à agir contre les facteurs dégradation des organismes liés au vieillissement, afin de garantir une vie en bonne santé (beaucoup) plus longue. Cet objectif est essentiel dans les sociétés occidentales qui sont de plus en plus âgées. Pour l’instant, l’immédiateté de la réaction impose une quarantaine nationale, d’autant que les dernières années de négligence des risques sanitaires vont rendre ce combat difficile.21 Là où en France cette pandémie illustre l’affaiblissement du système de santé, aux Etats-Unis, elle illustre la profonde inégalité de ce système de santé. D’autant que le prix de la santé est excessif dans le pays, même s’il s’agit d’un simple test du COVID-19.22 On risque de voir des malades continuer de travailler et donc l’épidémie exploser23, ce que semblent confirmer les chiffres actuels24 (29 mars 2020). En pleine campagne électorale, cette situation pourrait recentrer le débat25 vers plus de justice sociale et médicale.26
Ce constat illustre à quel point un système de santé universel est la garantie d’une bonne gestion sanitaire des risques pandémiques dans un monde connecté à l’extrême. En cela, cette pandémie montre combien les techno-progressistes ont eu raison de donner la priorité à un accès aux soins pour tous, lors de leur réengagement de la Déclaration techno-progressiste.
Nos sociétés y gagneront en bien-être et en stabilité.
Une tempête économique
Car en parallèle des milliers de tragédies vécues quotidiennement par celles et ceux qui décèdent, qui souffrent de potentielles séquelles de cette infection, ainsi que par leurs familles, ce virus a aussi infecté l’économie. Cela ajoute à la tragédie sanitaire une tragédie sociale.
Des pans entiers de l’économie sont désormais quasiment au point mort : transport aérien, tourisme, industrie, sport, artisanat, spectacles, etc.27 Le séisme de l’économie réelle s’est lui-même propagé dans les marchés boursiers qui se sont tous effondrés déclenchant une crise au moins comparable à celle de 2008.28 Même si on ne peut que louer cet élan d’humanisme de mettre en suspens l’économie afin d’essayer de sauver des vies, une première à cette échelle au niveau historique, les conséquences pratiques peuvent être très dommageables pour les travailleurs déjà en difficulté avant ce choc.29
De plus, forcés au confinement, les entreprises qui le peuvent passent massivement au télétravail. Et ce stress-test d’Internet démontre la résilience du réseau planétaire. Certes impacté dans ses performances, il n’en demeure pas moins opérationnel. Qui pouvait imaginer ne serait-ce que fin 2019 qu’un tel nombre de vidéoconférences, de jeux en ligne, de VOD, d’e-commerce concentrés en si peu de temps ne mettrait pas à genoux l’ensemble du réseau ? Ceci démontre aux entreprises la viabilité du télétravail, concept qui avait du mal à s’imposer, principalement à cause de nos biais culturels.30 Cette crise prouve que le télétravail est possible et qu’il pourrait être accepté comme un mode de relation privilégié.
La nature reprend vie
Depuis près d’un an et demi une lancinante litanie de désastres écologiques parcours les news : feux massifs en Californie l’été dernier ; l’Amazone qui brûle ; les feux de brousse dans des proportions inédites en Australie, etc. le dérèglement climatique s’emballe et les climatologues avertissent, nous somme plus proches du scénario pessimiste que de l’optimisme en la matière.31 Et que voit-on depuis ces quarantaines, au-delà de l’image d’Epinal de la faune sauvage réinvestissant certaines parties des villes désertées,32 une chute brutale de la pollution en Chine33 comme en Europe.34
Or, il est établi que l’appauvrissement des écosystèmes et la destruction des habitats sont l’un des facteurs déterminants pour la propagation des agents pathogènes.35
Peut-être cela permettra-t-il aux sociétés de prendre enfin conscience de l’urgence climatique et de notre rôle en tant qu’espèce dans celle-ci. Il serait tragique qu’une telle opportunité de prise de conscience collective soit manquée. Nous n’en aurons probablement pas d’autre.
De même que le « lever de Terre » d’Apollo 8 permis la naissance d’une conscience écologique globale, cette crise tragique devrait nous permettre d’amorcer une évolution vers une économie plus saine. Plus spéculatif encore mais pas impossible : cela pourrait nous permettre d’atteindre un objectif techno-progressiste tel qu’il avait été réaffirmé en 2017 :
Une tempête sanitaire
Mais bien entendu, la pire des crises de cette pandémie est la crise sanitaire. Bien que les chiffres évoluent vite et que les situations sont très dépendantes de la situation locale des pays (âge des populations et capacité des systèmes de santé), ce virus pose de sérieux défis à nos systèmes de santé. D’où ces quarantaines nécessaires pour éviter une saturation des hôpitaux et tenter d’aplanir la courbe des cas de cette épidémie.36
C’est aussi afin d’expliquer cela qu’il est demandé aux populations confinées de changer radicalement leurs habitudes : auto-confinement, (ré)éducation à l’hygiène, changement d’habitudes.
Malgré quelques irréductibles et souvent à la suite d’erreurs de communication des gouvernants, les gens s’adaptent vite à ces situations d’exception. Considérez l’exceptionnalité de la situation, en à peine 100 jours le monde est passé incroyablement vite d’une vie normale sans SARS-COV-2 à une vie d’exception en confinement. Exception faite de quelques mouvements de panique et de ruée vers certains produits, nous n’avons pas eu de scénario de science-fiction où nos sociétés s’effondrent face à la menace. Au contraire, bien informées et éduquées les populations comprennent et obtempèrent dans leur grande majorité. Cela renforce l’idée techno-progressiste que dans un monde de plus en plus évolutif, l’éducation est affaire de tous à tout âge.
Cette épidémie prouve aussi, par les échanges d’aide de la France vers la Chine37 quand cette dernière en avait besoin, mais aussi dans l’autre sens aujourd’hui38, que nos sociétés restent attachées à l’altruisme et donc que l’idée techno-progressiste d’une « société augmentée » plus juste et altruiste serait envisageable.
Reste à combattre ce mal du mieux que nous le pouvons. Les solutions innovantes se font jour, comme toujours en temps de crise. Exemple de l’Italie qui, en manque de valves pour respirateur39, s’est mise à les faire imprimer en 3D ; ou des entreprises de masque de plongée re dirigeant leur production en ce sens.40 Cette solidarité internationale, espérons que l’Occident et l’Asie ne l’oublieront pas si l’Afrique ou l’Inde subissent une vague épidémique comparable une fois la situation stabilisée chez eux. D’autant que les systèmes de santé de ces pays sont souvent défaillants, même sans crise COVID-19.41 L’OMS estimant que le continent africain a deux semaines pour contenir l’épidémie.42
Et ensuite
Malgré une situation volatile du fait que le monde est en plein dans la tempête, notre connaissance évolue tout aussi rapidement. Jamais une épidémie n’avait été si vite analysée, le génome du virus si vite identifié, et la compréhension de ses mécanismes si vite acquise.43
Une chose est cependant frappante, l’âge est un facteur aggravant majeur dans la dangerosité de l’infection. Même si de jeunes individus peuvent déclencher une forme sévère du COVID-19 et en décéder44, les chiffres sont sans appels.
Cette épidémie démontre que l’engagement transhumaniste et notamment techno-progressiste pour des recherches contre les maladies liées au vieillissement n’est pas un luxe, mais bien une nécessité vitale. Aujourd’hui nous faisons face à une pandémie d’une rare violence qui cible essentiellement les seniors. Les directeurs d’EHPAD en France ont alerté, face à la pénurie de moyen de protection pour leurs employés, de la forte possibilité que leurs établissements deviennent des foyers d’infection, avec le risque de plus de 100 000 décès en quelques mois.46
Une fois cette tempête passée, il faudra reconsidérer sérieusement les investissements dans la lutte contre le vieillissement afin qu’un SARS-COV-3 ne réitère pas la tragédie que nous vivons. De même que lors du réengagement de 2017 les techno-progressistes avaient réaffirmé leur vision d’une non-ségrégation entre « réparation » et « augmentation », nous devrons aussi utiliser tous les moyens disponibles pour nous protéger contre les risques épidémiques, qu’ils soient encore inconnus aujourd’hui ou plus habituels, telle la vaccination. Le droit à la santé devrait être tout aussi important que le droit à la vie. Après tout, l’Organisation Mondiale de la Santé promeut elle aussi la défense des recherches contre le vieillissement.47 Cependant, cela reste trop limité et c’est pour cela que les techno-progressistes soutiennent « l’International Longevity Alliance »48 dans sa volonté de convaincre l’OMS de faire plus dans ce domaine, ceci en plein accord avec leur réengagement.
Enfin, le seul point du réengagement de 2017 à la Déclaration techno-progressiste non concerné par la crise actuelle est le dernier. Ce n’est pas qu’il est peu important, mais il encore trop tôt pour qu’il soit d’actualité. Néanmoins, notre engagement pour nos compagnons à poils témoigne de l’attachement profond et de l’empathie de l’humain envers d’autres formes de vies. Attachement illustré par ces volontaires de Wuhan aidant des personnes à nourrir leurs compagnons animaux restés cloîtrés dans les appartements vides du fait du soudain confinement de la région de Hubei.49
Cette réflexion sur le vivant est d’autant plus importante qu’il semblerait que la trop grande concentration d’animaux, donc une forme de maltraitance, puisse favoriser les zoonoses.50
Aujourd’hui le tragique domine, mais dans toute tragédie dort une leçon qui, si elle est comprise, nous aide à construire une société meilleure.
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