Critique de l'augmentation compétitive

On dit qu'il faut s'augmenter pour "rester compétitif" face aux machines. Mais est-ce une bonne approche du transhumanisme ?

Publié le 23 février 2017, par dans « Homme augmentéQuestion socialeTransition Laborale »

Note : Cet article reflète le point de vue de son auteur, et pas nécessairement celui de l’association.

 

Avant d’entamer cet article que certains qualifieront hâtivement d’« anti-transhumaniste », quelques précisions s’imposent.

Je suis transhumaniste, et favorable aux augmentations les plus diverses de l’humain, y compris les plus radicales. Voir mon projet de livre pour s’en convaincre.

Cependant, j’entends de plus en plus souvent un certain discours, et il me fait tiquer. Ce discours, c’est le suivant : nous devons nous augmenter pour rester compétitifs face aux machines et à l’intelligence artificielle (qui progressent très rapidement), sous peine de nous retrouver « largués ».

Elon Musk a récemment rejoint les rangs de ceux qui tiennent ce discours. Voir ce bref article : « Pour Elon Musk, les humains doivent fusionner avec les machines… ou disparaître »

C’est également le point de vue du Dr. Laurent Alexandre, le spécialiste du transhumanisme le plus sollicité par les médias français. Voir à ce sujet son très théâtral discours au Forum Européen de Bioéthique (notamment le passage de 26:54 à 28:18). Selon lui, il est aujourd’hui urgent de nous rendre « complémentaires » de l’intelligence artificielle, afin de ne pas être dépassés par elle.

Je n’ai rien contre l’idée de nous augmenter de la façon qu’évoquent Elon Musk et Laurent Alexandre. Ce qui me dérange, c’est la raison qui est invoquée pour justifier cela.

Il y a de nombreuses raisons qui peuvent nous amener à être favorables au transhumanisme (voir mon article « Pourquoi le transhumanisme ? »). Mais ici, la raison invoquée est la suivante : rester « compétitifs » par rapport aux machines, ne pas être « largués » par les machines… Alors qu’à la base, c’est l’humanité qui crée ces machines, et qu’elles sont supposées nous servir ! Et non devenir une menace, un « concurrent ».

Il est tout à fait légitime de penser que la majorité des métiers actuels vont disparaître (voir l’étude de l’université d’Oxford à ce sujet, et cet article pour plus de détails). Cependant, cela ne devrait pas être un problème. Ce n’est un problème que parce que nous nous accrochons désespérément à un paradigme économique où tout le monde est supposé travailler à temps plein. Paradigme dont les failles apparaissent chaque jour un peu plus, à l’heure de l’automatisation massive.

Dire que nous devons nous augmenter pour « rester compétitif » sur le marché du travail, dire que nous n’avons pas le choix, c’est au fond un bien triste aveu. L’aveu que nous sommes impuissants à repenser notre modèle économique, pour faire en sorte que l’automatisation bénéficie à la société dans son ensemble (comme cela devrait normalement être le cas). Pire : que nous n’avons même pas la souplesse intellectuelle nécessaire pour remettre en cause le modèle économique actuel ! Nous le considérons comme tellement « normal », « allant de soi », semblable à une loi fondamentale de la physique… que nous ne considérons même pas la possibilité de le remettre en question.

Et par conséquent, certains considèrent que la seule option, c’est de nous « augmenter pour rester compétitifs ». Ironie : quand on y réfléchit cinq minutes, cette option implique pourtant des changements beaucoup plus radicaux qu’un changement de paradigme économique ! C’est dire à quel point nous considérons le modèle actuel comme une « donnée fixe » gravée dans la pierre.

J’essaye, à mon échelle, de défaire les rigidités intellectuelles qui poussent un grand nombre de gens à rejeter en bloc le transhumanisme. Mais je réalise que cette rigidité intellectuelle est bien inférieure à celle dont nous pouvons faire preuve en matière de modèle économique ! Aux « bio-conservateurs », il faut ajouter les « économico-conservateurs », dont certains sont tout aussi radicaux.

Bien sûr, rien ne nous dit que, si nous nous augmentons « pour rester compétitifs », cela sera négatif au final. Cela pourrait même être globalement très positif. Mais cela pourrait également ne pas l’être. Car le problème est le suivant : il s’agirait ici d’un transhumanisme mené par le « fusil sur la tempe » de la contrainte économique – et pas d’un transhumanisme guidé par ce que nous, humains, désirons. On peut espérer mieux.

L’erreur ici serait de jeter le bébé transhumaniste avec l’eau du bain capitaliste. Similairement, on reproche au transhumanisme d’aggraver les inégalités, alors que cela ne serait que la conséquence des inégalités économiques déjà existantes. Paresse intellectuelle qui consiste à rejeter sur le transhumanisme les problèmes économiques que nous n’arrivons pas à résoudre aujourd’hui (peut-être parce que nous y avons plus ou moins renoncé).

Aujourd’hui, nous disposons encore d’un outil démocratique qui nous permet de faire pression sur les choix politiques. Utilisons-le pour exiger que l’automatisation bénéficie à la société dans son ensemble, plutôt que de nous lancer dans une compétition absurde et mortifère avec nos propres créations. Pensons hors de la boîte !

 

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Porte-parole et vice-président de l'Association Française Transhumaniste. Pour accéder à ma page perso (articles, chaîne YouTube, livre...), ou pour me contacter par e-mail, cliquez ici.