Objections #1 : Transhumanisme et folie des grandeurs
Cette partie du livre (Partie 4) liste les objections qui sont faites au transhumanisme, et tente d'y répondre. Dans cet article : les accusations d'hubris, d'orgueil, de folie des grandeurs, etc.
Publié le 4 juillet 2017, par dans « Homme augmenté • transhumanisme »
Cet article fait partie d’un livre sur le transhumanisme. Pour en savoir plus, cliquez ici.
Le transhumanisme veut créer le « surhomme » (comme des idéologies funestes avant lui)
Non. Les transhumanistes n’ont aucune affection pour les fantasmes de « surhomme nazi » qui hantent l’imaginaire collectif. Un tel « surhomme » serait un projet d’État brutal et coercitif, avec une idée d’écrasement et d’extermination des plus faibles. L’immense majorité des transhumanistes se réclament de valeurs proches de celles des philosophes des Lumières, qui sont fondamentalement incompatibles avec un tel projet.
Le transhumanisme ne cherche pas à atteindre un « homme parfait » qu’il suffirait de répliquer en série. Il vise au contraire une évolution permanente et dont on ne peut distinguer clairement l’horizon. Il est donc fondamentalement incompatible avec des visions totalitaires figées et statiques.
Le transhumanisme fait l’éloge de la compétition et du darwinisme social
Non. Les apôtres du darwinisme social peuvent bien sûr récupérer le transhumanisme pour servir leur idéologie. Mais cela n’a rien d’intrinsèque au transhumanisme. La majorité des transhumanistes se préoccupent de liberté (tendance libertarienne) ou de « bien commun » (tendance techno-progressiste). Ils ne font pas l’éloge d’une compétition carnassière ou de l’élimination des plus faibles.
Le transhumanisme aurait même plutôt tendance à dynamiter la notion de « supériorité innée » : si nous pouvons jouer sur les gènes ou sur l’intelligence, il n’y a plus vraiment de raison de se réclamer fièrement d’une telle supériorité. Il en va de même pour l’automatisation, qui tend à relativiser la notion de « mérite » dans le monde du travail : si l’intelligence artificielle effectue nos métiers mieux que nous, les distinctions sociales ont-elles encore un sens ?
Le transhumanisme est une nouvelle religion dans un monde en perte de sens
Il est facile de qualifier ce que l’on ne comprend pas de religion, voire de secte. Le transhumanisme ne se base sur aucun présupposé théologique. En revanche, il y a une idée de transcendance dans la démarche transhumaniste : créer, à terme, quelque chose qui nous dépasse. Mais cela n’a rien d’irrationnel ou de mystique : il s’agit juste de savoir ce qui est faisable technologiquement, ce qui est souhaitable ou non, quels en sont les risques et les bénéfices, etc.
Le transhumanisme, n’est-ce pas se prendre pour Dieu ?
Si l’on est agnostique ou athée, l’hypothèse de Dieu n’est pas faite, et l’expression « se prendre pour Dieu » n’a donc pas de sens. Ce serait tout au plus une métaphore pour parler de « savant fou » (voir point suivant).
Si l’on est croyant, on peut interpréter le transhumanisme comme un « péché d’orgueil » (on pense tous à la Tour de Babel, et au Dieu vengeur de l’Ancien Testament). Mais ce n’est qu’une interprétation possible parmi d’autres. Ainsi, par exemple, il existe des associations transhumanistes chrétiennes et mormones ! On peut raisonnablement voir le transhumanisme comme quelque chose d’orthogonal à la religion.
N’est-ce pas jouer au savant fou ?
Seulement si l’on prend des risques inconsidérés ! Voir la section « Libertés et gestion des risques » de la Partie 3.
Ce n’est pas naturel !
Tout comme nos smartphones, nos voitures, nos vêtements, nos maisons… Rien de ce qui compose la civilisation humaine, par définition, n’est « naturel ». Pour être « naturel », il faudrait retourner vivre dans des cavernes et chasser avec des bâtons – et encore : le bâton est un outil, donc une forme de technologie.
Il s’agit là du « sophisme de l’appel à la Nature » : ce qui est naturel serait bon (par essence), et ce qui ne l’est pas serait mauvais (par essence). C’est un raccourci intellectuel erroné. La peste, les tumeurs cancéreuses ou la maladie d’Alzheimer sont naturelles. L’assurance maladie, la justice ou l’éducation sont artificielles. Mieux vaut se demander directement ce qui est « bon » ou pas, sans faire appel à la Nature.
Pourquoi ne pas laisser faire l’évolution naturelle, tout simplement ?
Question légitime : après tout, c’est l’évolution naturelle qui a conduit à l’émergence de l’humanité. Pourquoi ne pas la laisser poursuivre son chemin ? Pour au moins trois raisons.
- Tout d’abord, elle est infiniment lente à l’échelle de l’Histoire humaine. Il faudrait des milliers d’années pour voir des changements notables. A côté de cela, le monde a changé de façon radicale en deux petits siècles. Qui sait à quoi il ressemblera dans 2000 ans ? C’est impossible à imaginer. Tout changement procédant de l’évolution naturelle serait négligeable au regard des autres changements.
- Ensuite, elle est cruelle : l’évolution naturelle repose sur la sélection darwinienne, ce qui implique qu’un grand nombre d’individus meurent brutalement avant de pouvoir se reproduire ! Nul ne voudrait retourner à un tel niveau de barbarie.
- Enfin, aucune loi ne dit que l’évolution naturelle va nécessairement dans le sens de « plus de complexité » : nous pourrions même devenir de plus en plus stupides au fil des millénaires (certains affirment que c’est déjà le cas) ! L’évolution naturelle n’est jamais qu’une lente adaptation à l’environnement. Or, l’humain a dominé son environnement, et le crée à présent. Cette notion n’a donc plus vraiment de sens.
Article plus détaillé : « Évolution naturelle ou évolution technologique ? »
Pourquoi vouloir « toujours plus » ? Pourquoi ne pas se contenter des plaisirs simples de la vie ?
Les deux ne sont pas contradictoires. Les transhumanistes sont des humains comme les autres, qui aiment lire, se détendre, se balader en forêt, caresser leur chien, jouer avec leurs enfants, rire avec leurs amis…
« Vouloir plus » n’implique pas de renoncer aux plaisirs simples de la vie. C’est un objectif qu’on peut poursuivre de façon sereine, comme la maîtrise d’un sport ou d’un instrument de musique. De manière générale, vouloir progresser ou s’améliorer n’implique aucunement de mépriser ce que l’on a.
Un président français s’était fait élire sur le slogan « La force tranquille ». On pourrait dire, avec une pointe d’humour, qu’on peut être transhumaniste et avoir « l’hubris tranquille » !
Article plus détaillé : « Est-il déraisonnable de vouloir plus ? »
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