Recherche contre le vieillissement en Afrique: une nécessité politique et éthique

Pourquoi l'Afrique ne doit pas rater le train de la lutte contre le vieillissement

Publié le 12 janvier 2025, par dans « Immortalité ? »

par Siba Tcha-Mouza

“Longévisme, âgisme et vieillissement: enjeux et perspectives africaines de la longévité “, tel était le thème du Forum African International de  Bioéthique (FAIB) organisé par l’Institut Africain de Bioéthique (IAB) à l’université de Dschang au Cameroun du 06 au 08 décembre 2023. Mon exposé lors de ce forum international s’intitulait “ La recherche contre le vieillissement en Afrique : nécessité ou contingence? “. Voici ci-dessous repris sous forme d’article le contenu des idées développées sur ce sujet.

Avec un âge médian très inférieur (18,7 ans) [1]  à celle de ses voisins, notamment des États-Unis d’Amérique (38,1 ans) [2], de l’Union Européenne (44,4 ans) [3], l’Afrique à été souvent considérée comme un continent plein de jeunesse, et donc un continent d’avenir au regard des ressources humaines potentielles. Cependant, cet atout longtemps resté non valorisé, voire devenu source d’autres problèmes, n’est pas un acquis pérenne. L’Afrique, étant aussi bénéficiaire, dans une certaine mesure, des avantages liés au progrès technologique, n’échappe non plus à ses conséquences, dont le vieillissement de sa population dans un contexte déjà très problématique.

1) L’Afrique reste-t-elle un continent éternellement jeune ?

Grâce notamment à l’hygiène, donc à l’amélioration des conditions de vie et des avancées médicales, l’espérance de vie en Afrique connaît jusqu’alors une rapide évolution. L’espérance de vie a ainsi augmenté en moyenne de dix (10) ans entre  2000 et 2019 [4].

D’après un nouveau rapport de la Commission Économique pour l’Afrique (CEA), le nombre de personnes âgées de 65 ans ou plus, en Afrique, est passé de 3,5 % (environ 8 millions) en 1950 à 4 % (environ 50,3 millions) en 2017. Les estimations annoncent que ce chiffre pourrait augmenter pour atteindre 173,6 millions d’ici 2050 [5]. L’Indice Synthétique de Fécondité (ISF), le nombre moyen d’enfants vivants par femme, qui représente 4,2 en 2022, sera réduit à 2,9 en 2050 [6].

Le nombre croissant des personnes âgées, d’une part, et la chute de l’ISF, d’autre part, modifient significativement le paysage démographique de l’Afrique. Celle-ci, ainsi vieillissante, devra encore faire face aux défis liés à son très fragile système de sécurité sociale qui sera encore durement éprouvé. A cette situation s’ajoute le déclin progressif de la solidarité africaine traditionnelle dus à plusieurs autres  facteurs.

Il faut reconnaître que le phénomène de vieillissement, ou mieux, d’un ton provocateur, « la pandémie du vieillissement », n’épargne pas cette Afrique euphorique du mythe de la jouvence et de la solidarité parfaite et permanente.

2) Lutte contre le vieillissement :  nécessité et sens

La souffrance humaine, notamment de maladies dégénératives, est-elle éthiquement acceptable ?

Tout être humain est certes vieillissant. On ne naît pas vieux ou vieille, mais on le devient. Pendant que les personnes âgées ont la jeunesse derrière elles, les jeunes ont la vieillesse devant eux. C’est donc, par expérience, une affaire de temps. Le vieillissement est ainsi un problème qui concerne toute l’humanité sans distinction aucune. Grâce à la maîtrise évolutive de la technique, les êtres humains, n’ont cessé de transformer leur environnement et même d’explorer l’univers. Aussi luttent-ils sans relâche, contre les atteintes à leur santé.

Cependant, face à certains phénomènes tels que le vieillissement, ils semblent pris dans une totale résignation, alors qu’à travers leur symbolique s’expriment des vœux du bien-être physique, psychique et social permanent, et donc d’une jeunesse éternelle.

Toutefois, ces dernières décennies, tout change. L’aveu collectif de profondes aspirations individuelles se manifeste même à travers des institutions sociales ou des projets collectifs. En effet, les principes énoncés dans le préambule de la constitution de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) en sont incontestablement une parfaite illustration. Sa définition de la santé  comme “ un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité” [7] annonce déjà la nécessité de chercher à préserver l’humain du déclin des fonctions biologiques et psychiques, dont, bien sûr, des effets du vieillissement. Puisque de cette définition, aucune tranche d’âge n’a été exclue  et aucune forme de souffrance humaine n’est considérée légitime.

En outre, elle définit la santé publique comme « la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé et la vitalité mentale et physique des individus » [8]. Ceci confirme sans détour la nécessité absolue de parvenir à contrôler le vieillissement et ses symptômes afin d’assurer le bien-être humain grâce au progrès. Il s’agit alors d’une augmentation ou amélioration de la capacité ou vitalité mentale et physique de l’humain. Bref, à moins d’être suicidaire, toute l’humanité, même à travers ses institutions se révèle longéviste, et même transhumaniste de fait. La vraie nature humaine est cette disposition permanente à améliorer sa propre nature.

Aujourd’hui, la quatrième révolution technologique tend généreusement à l’être humain de nouveaux outils pour s’améliorer et améliorer son environnement. Ceux-ci lui  permettent d’intervenir avec une meilleure précision dans l’infiniment petit et d’explorer l’infiniment grand. La machine se voit doter de capacités supposées exclusives à l’humain: les sens et de l’intelligence qui s’ajoutent à l’automatisme. L’être humain avance ainsi à grand pas vers ses objectifs au fur et à mesure qu’il parvient à forcer la nature à lui livrer ses intimes secrets. Ceci n’est pas sans risques ( existentiels), mais ceux-ci ne seront pas abordés ici. 

Alors, l’humain, dieu de la « machine voyante, entendante, sentiente, pensante et agissante » se voit augmenté par sa créature et décide de faire face à son déclin physique et psychiques en ouvrant des possibilités pour “l’éternelle jouvence ». Accepterait-il volontiers de s’offrir aux caprices du temps, alors que les moyens techniques pour les contrôler ou réduire ses effets naissent ?

Derrière la lutte contre le vieillissement, se cachent la compréhension de son mécanisme, la maîtrise des lois biologiques qui le gouvernent puis le développement des solutions possibles pour le contrôler. L’objectif assigné est donc de développer des interventions pour ralentir significativement, arrêter voire rendre réversible le processus du vieillissement.

Il s’agit, plus exactement, de trouver des solutions préventives et curatives avant tout radicales aux maladies liées au vieillissement telles que les maladies rhumatologiques, oculaires, neurodégénératives, cardiovasculaires, le diabète, le cancer, etc.

Si une vie de plus en plus longue est notre vœu, nous devons nous rappeler qu’elle n’aurait de sens et ne serait souhaitable que si nous restions encore possesseurs de nos capacités mentales et physiques. Ceci est une condition sine qua non pour une vie matérielle et sociale épanouie.

Des chercheurs, des bailleurs de fonds, des intellectuels, des organisations, et une partie grandissante des populations civiles soutiennent les efforts dans la lutte contre cette  pandémie à travers le monde. De plus en plus de voix s’élèvent visant à faire de la lutte contre le vieillissement une politique nationale et internationale.

C’est précisément à ce combat aux multiples impacts sociaux, économiques et politiques visant à améliorer la condition humaine que l’Afrique doit se joindre.

3) Quelques problématiques liées à l’engagement africain dans la lutte contre le vieillissement

Est-il concevable que tout un continent aux atouts naturels inestimables reste toujours à la traîne des technosciences ? [9]

Il faut retenir que le projet de lutte contre le vieillissement est une continuité de la performance technoscientifique. C’est une étape qui fait suite aux trois révolutions technologiques successives.  Cette quatrième révolution redistribue les cartes, et rater cette nouvelle occasion revient à assurer sa propre vassalisation dans tous les domaines.

L’Afrique n’est-elle pas aussi frappée par des maladies dégénératives croissantes qui sèment le malheur dans les familles ?

Comment se prépare-t-elle pour gérer le nombre croissant des personnes âgées multimorbides et inactives dans un contexte de manque cruel d’infrastructures médicales ?

Comment va-t-elle financer son système de sécurité sociale dans un contexte où les atouts naturels ne peuvent pas être transformés en produits finis exportables pour améliorer son économie ?

La misère technoscientifique n’est-elle pas la mère de tous les problèmes de l’Afrique dont ceux relatifs au vieillissement de sa population qui se profilent déjà à l’horizon ?

N’est-il donc pas évident que la solution au problème du retard technoscientifique africain se trouve dans une prise de conscience individuelle et collective ?

L’Afrique a les moyens de sa politique en matière d’innovation technologique et doit prendre conscience de son devoir de participer directement à l’amélioration de la condition humaine, dont la lutte contre le vieillissement. La participation africaine aux projets d’amélioration de la condition humaine représente une opportunité pour l’Afrique de se lancer dans la recherche et de rattraper son retard.

Beaucoup d’hypothèses restent encore sans réponse, beaucoup de réponses actuelles suscitent beaucoup plus de questions qui méritent plus de recherches. Jusqu’à présent, le bonheur, dans tous les pays du monde, reste encore une idéalité. Ce qui signifie que les tentatives de le tirer à la réalité demeurent encore un challenge. Puisque partout dans ce monde, malgré tout, la souffrance humaine est encore très présente. L’état de “complet bien-être physique, mental et social” est encore loin de la portée des pays même les plus développés.

La quantité de connaissances produites en médecine pour soulager l’être humain de ses souffrances est certes vertigineuse. Cependant, face à ce qui reste à faire pour atteindre les objectifs poursuivis, presque rien n’est encore fait. Dans ce contexte, les retardataires peuvent rattraper le train s’ils se dotent de véritable volonté et s’engagent. Le sentiment de complexe d’infériorité, de sous-technicité créé et nourri par des imaginaires continue à maintenir l’Afrique dans son état actuel. N’est-il pas  temps d’en sortir  ?

Il faut donc nourrir l’audace individuelle et collective, développer l’intelligence collective et engager des actions très ambitieuses permettant de se projeter vers un avenir souhaité pour la nation, le continent et l’humanité toute entière.  Et ceci doit être considéré comme une responsabilité morale.

L’Afrique a les moyens  et le devoir de participer directement à l’amélioration de la condition humaine, dont la lutte contre le vieillissement. L’Afrique n’est pas du tout pauvre. Nul besoin des concepts d’économie pour comprendre simplement la différence entre pays pauvres et pays riches. Les premiers ne disposent d’aucune ressource naturelle, ni de compétence à valoriser, ni de volonté de changer leurs conditions d’existence. Les seconds disposent au moins de la dernière forme de richesse (la volonté individuelle et collective ). Aucune Nation n’est en principe pauvre, sauf si ses filles et fils opèrent en complicité le choix de ne pas activer sa richesse.

L’Afrique ne fait donc pas partie ni des premiers ni des seconds. Elle dispose de ressources naturelles très abondantes, de savants ou scientifiques, mais manque tout simplement de volonté individuelle et collective de se développer technologiquement.

Créer des conditions favorables à l’éclosion technoscientifique sur ce continent est resté quasi impossible. Ses fils et filles ont juste préféré depuis longtemps s’investir ailleurs que dans l’innovation technoscientifique, pourvoyeuse de Liberté. Les mêmes manières de penser, de sentir et d’agir reproduisent les mêmes conditions d’existence quel que soit le temps. La seule garantie que réserve le temps dans l’inaction est le déclin des fonctions biologiques et mentales. La ferme volonté individuelle et collective trouve toujours des moyens nécessaires pour atteindre des objectifs aussi nobles que l’amélioration de la condition humaine et sociale.

En définitive, l’Afrique ne rajeunit pas, elle est aussi vieillissante et mal préparée pour gérer la crise imminente liée au vieillissement de sa population. Par conséquent, l’ambitieuse aventure pour le contrôle du processus de vieillissement chez l’humain, grâce aux nouvelles techniques convergentes (NBIC), doit aussi être une affaire africaine. Autrement, l’Afrique encourt une dépendance biopolitique, et, pour une fois encore, une  place de passif spectateur plaintif à la table de décisions internationales bioéthiques.

NOTES

[1] https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/janvier-2022/la-jeunesse-africaine-renouvelle-son-engagement-envers-les-odd.

[2] https://www.worldometers.info/world-population/us-population/#:~:text=The%20current%20population%20of%20the,339%2C996%2C563%20people%20at%20mid%20year.

[3] https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/w/DDN-20230222-1.

[4] https://www.ungeneva.org/fr/news-media/news/2022/08/73944/lesperance-de-vie-sallonge-de-pres-de-dix-ans-en-afrique-oms.

[5] https://www.uneca.org/fr/stories/le-quatri%C3%A8me-examen-r%C3%A9gional-africain-du-plan-d%E2%80%99action-international-de-madrid-appelle-%C3%A0-un.

[6] Nations Unies, 2022 (https://youtu.be/bFG1Smx849U?feature=shared).

[7] https://www.who.int/fr/about/accountability/governance/constitution.

[8] https://larhra.fr/agenda/814/.

[9] https://transhumanistes.com/lafrique-a-la-traine-des-technosciences/

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Porte-parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, chercheur affilié à l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET). En savoir plus