Le transhumanisme est-il un humanisme ?

Le transhumanisme peut-il être vu comme une extension de l'humanisme des Lumières ?

Publié le 5 février 2017, par dans « Homme augmentéQuestion socialetranshumanisme »

Le 31 janvier 2017, l’Association Française Transhumaniste était invitée à une table ronde au Forum Européen de Bioéthique sur le thème : « Le transhumanisme, une nouvelle forme d’humanisme ? »

Le mot « transhumanisme » étant formé de « trans » et « humanisme », la question revient souvent de savoir s’il s’agit d’un humanisme. Le préfixe « trans » indique-t-il un humanisme travesti et dévoyé, ou au contraire un humanisme transcendé ?

Cette question a été traité avec brio dans le livre « Le transhumanisme est-il un humanisme ? » du philosophe Gilbert Hottois, dont je vous conseille la lecture.

Beaucoup plus modestement, je vous propose ici de relire l’introduction de l’article Wikipédia « Humanisme » [1] avec des lunettes transhumanistes.

 

Note : Nous parlons ici de l’humanisme des Lumières, ce qui peut différer du sens courant que l’on donne aujourd’hui au mot « humanisme » : le droit à la santé, les droits sociaux, le droit au bonheur, le droit à la paix… Mais cela mériterait un article à part entière.

 

Une quête de connaissance

 

« Les intellectuels de l’époque manifestent un vif appétit de savoir »

« Ils prônent la vulgarisation de tous les savoirs »

« Ainsi, cet humanisme vise à diffuser plus clairement le patrimoine culturel »

« Considérant que l’Homme est en possession de capacités intellectuelles potentiellement illimitées, ils considèrent la quête du savoir et la maîtrise des diverses disciplines comme nécessaires au bon usage de ces facultés »

 

La quête du savoir est au premier plan du transhumanisme : comprendre le génome, le processus de vieillissement, le fonctionnement de notre cerveau… mais aussi l’univers (l’infiniment grand) et la mécanique quantique (l’infiniment petit). La connaissance n’est pas une transgression coupable d’un ordre naturel, mais un objectif en soi, et sa propre récompense. Ce savoir doit idéalement être gratuit et accessible au plus grand nombre : open data, e-learning, vulgarisation scientifique… (voir « Pour un transhumanisme open source »)

Mais le transhumanisme est surtout le désir d’étendre nos capacités d’apprendre et de comprendre. Dans les siècles passés, une personne érudite pouvait connaître à peu près tout ce qu’il y avait à savoir sur le monde. Aujourd’hui, une vie ne suffirait pas à intégrer le millième des connaissances disponibles – et la somme des connaissances disponibles ne cesse d’augmenter. D’où le désir d’augmenter à la fois notre espérance de vie et nos capacités cognitives.

Dans l’idéal, un humaniste souhaite à son prochain de pouvoir se libérer du labeur et de la nécessité, pour pouvoir se consacrer à l’art, la science, la connaissance et la création. Le transhumanisme va plus loin en proposant de se libérer par le dépassement progressif de nos limites biologiques.

 

Liberté et auto-détermination

 

« L’individu, correctement instruit, reste libre et pleinement responsable de ses actes dans la croyance de son choix. »

« Les notions de liberté ou libre arbitre, de tolérance, d’indépendance, d’ouverture et de curiosité sont, de ce fait, indissociables de la théorie humaniste classique. »

« En mettant l’accent sur la capacité d’auto-détermination, l’humanisme rejette la validité des justifications transcendantes de l’époque. »

 

Un principe essentiel du transhumanisme est l’auto-détermination : la liberté de disposer de son propre corps comme on l’entend, tant que cela ne nuit pas à autrui ou à la société. Il s’oppose en cela au bio-conservatisme, qui considère notre condition actuelle comme « parfaite » et indépassable. Bien entendu, cette liberté n’existe que si l’on est suffisamment instruit, informé, conscient des risques et des bénéfices potentiels. D’où l’importance du point précédent.

 

Un désir d’amélioration de l’humanité

 

« Par extension, on désigne par « humaniste » toute pensée qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des qualités essentielles de l’être humain. »

« L’humanisme implique un engagement à la recherche de la vérité et de la moralité par l’intermédiaire des moyens humains, en particulier les sciences, en solidarité avec l’humanité. »

« Les humanistes développent une morale universelle fondée sur la communauté de la condition humaine ».

 

Le transhumanisme procède de cette volonté de « développement des qualités essentielles de l’être humain » : intelligence, créativité, empathie, sensibilité artistique… L’humanisme classique, même s’il était loin d’anticiper les perspectives transhumanistes (quoique ! [2]), soulignait déjà l’importance des sciences dans la « recherche de la vérité et de la moralité ».

Reste l’ambiguïté de la « communauté de la condition humaine ». Dans la perspective transhumaniste, l’humain actuel est une forme de conscience parmi d’autres. Ainsi, notre allégeance devrait aller, non pas à l’humanité au sens étriqué du terme (se limitant à l’homo sapiens), mais pourrait s’élargir à l’humanité au sens large et philosophique : toute forme de conscience ou forme de vie constituant une « personne morale » [3].

La question « qu’est-ce qu’être humain ? » masque en fait une question beaucoup plus fondamentale : qu’est-ce que nous considérons comme important chez l’humain ? Est-ce le fait d’avoir deux bras, deux jambes et de mourir à 80 ans ? Ou s’agit-il de qualités plus profondes (les « qualités essentielles » évoquées plus haut), que les humanistes souhaitaient déjà développer à leur époque ?

Pour ces raisons, il me semble que oui, le transhumanisme est bien un humanisme : un humanisme auquel les avancées de la science et de la technique ouvrent d’immenses perspectives. A chacun de se faire son idée !

Voir aussi :
Rester humain… ou devenir plus humain ?
Pourquoi le transhumanisme ?

 

Notes

[1] Wikipédia étant un support fluide et changeant, pour mémoire, voici quelle était l’introduction en question au moment où j’ai écrit cet article.

[2] « Serait-il absurde, maintenant, de supposer que ce perfectionnement de l’espèce humaine doit être regardé comme susceptible d’un progrès indéfini, qu’il doit arriver un temps où la mort ne serait plus que l’effet, ou d’accidents extraordinaires, ou de la destruction de plus en plus lente des forces vitales, et qu’enfin la durée de l’intervalle moyen entre la naissance et cette destruction n’a elle-même aucun terme assignable ? Sans doute l’homme ne deviendra pas immortel ; mais la distance entre le moment où il commence à vivre et l’époque commune où naturellement, sans maladie, sans accident, il éprouve la difficulté d’être, ne peut-elle s’accroître sans cesse ? »

(Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, pp. 217-218)

[3] Au sens éthique et non juridique du terme !

 

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